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Cette scène mélodramatique mécontenta fort Lorenzo, qui vit très bien que tout cela n’était qu’un mensonge fait pour intimider des esprits puérils. « Ainsi donc les émotions de cette journée, ce mystère, cet ordre de se tenir armé, tout cela n’avait pour but que de nous faire assister à un misérable truc de théâtre. C’était trop mauvais ! » Nous sommes de l’avis de Lorenzo, mais nous ferons à sa place deux observations : la première, c’est qu’il est évidemment fort difficile de faire quelque chose d’une armée de conspirateurs lorsqu’on n’a rien à entreprendre, de même qu’il est difficile de faire quelque chose d’une armée de soldats lorsqu’on n’est pas en guerre. Dans le premier cas, on satisfait par des scènes mélodramatiques aux besoins d’imagination dont tout conspirateur doit être travaillé, comme dans le second cas on amuse par des revues l’oisiveté des troupes. La seconde observation, c’est qu’en effet tout cela est bien vide et bien puéril. Est-ce que quelques actes de courage accomplis en plein soleil n’auraient pas mieux valu que tous ces mystères ? Et le plus petit acte de vertu, la résistance la plus modérée à l’arbitraire, l’exemple de la justice et de l’énergie individuelle donné publiquement n’auraient-ils pas été mille fois plus féconds en résultats que toutes ces momeries ténébreuses et théâtrales ? Il y a un certain courage dans la vie du conspirateur, mais c’est un courage secondaire que celui qui a besoin d’être entretenu par des moyens qui ressemblent à des excitans et à des boissons enivrantes.


III. — LILLA.

Cependant les pensées de politique et de conspiration n’occupaient pas seules l’âme de Lorenzo. Depuis longtemps, des ombres traversaient son imagination, ombres vagues, à vrai dire, mais qui avaient toutes un incontestable caractère féminin. Ses pensées ne demandaient pas mieux que de se fixer sur un objet précis ; il faisait à l’occasion différentes remarques, et entre autres que Santina, la fille du propriétaire chez qui il logeait, avait des yeux noirs pleins de flammes, qui la faisaient singulièrement ressembler à une bohémienne. Un matin, Santina entre dans sa chambre et lui remet une lettre toute mignonne et parfumée, portant pour sceau un Amour le doigt sur les lèvres, avec le mot discrétion. — Une lettre d’une dame ! dit Santina en la remettant. Elle était d’une dame effectivement, et contenait ces douces et caressantes paroles, pleines de promesses et d’espérances : « Je connais votre secret, je sais à quelle noble tâche vous vous êtes dévoué. Les âmes comme la vôtre n’ont pas besoin d’encouragement ; mais vous ne serez peut-être pas fâché d’apprendre qu’une amie s’intéresse à vous et vous accompagne de tous ses vœux. Si cette