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espagnol. Une hausse légère du prix du pain a donné le signal de l’agitation. Une portion du peuple s’est attroupée et a mis le feu à des voitures chargées de grains qui devaient être expédiés à Santander. Bientôt on ne s’est plus arrêté là : les bandes d’émeutiers ont envahi les maisons de quelques-uns des principaux négocians, et y ont porté le pillage et l’incendie. Après quelques heures, pendant lesquelles l’émeute a eu le temps d’exercer ses violences, les autorités locales ont fini par proclamer la loi martiale. Des décharges ont été faites par les troupes, et il y a eu des morts et des blessés. Ceci n’est en définitive que le pendant de ce qui avait lieu, il y a quelques jours, dans l’Aragon, où l’on arrêtait également des transports de vins achetés par des négocians français. Or il est curieux de voir ce qu’est la réalité, tandis que les orateurs des réunions électorales de Madrid proclament la liberté commerciale en théorie. Les faits sont malheureusement le plus étrange et le plus éclatant démenti de tous ces programmes que les élections ont fait naître, et auxquels le général Prim, récemment arrivé tout exprès d’Orient, a voulu ajouter le sien. Le général Prim semble vouloir, se constituer le chef d’une fraction du parti progressiste ; il n’est nullement partisan de la fusion qu’a essayé de réaliser l’union libérale. Il veut la réforme des impôts, l’équilibre du budget, l’abolition de l’impôt du sel et du tabac, la liberté, la moralité, l’égalité, l’enseignement gratuit, l’abolition de la conscription, après quoi le général Prim veut encore la monarchie ! Une assemblée constituante progressiste, dit-il, nous donnera une constitution monarchique avec toutes les garanties d’une bonne république. On voit quelle est la confusion d’idées qui règne au-delà des Pyrénées, et les élections ne font naturellement que refléter cette confusion, qui va par malheur toujours croissant.

C’est dans cette situation, au milieu de ce mouvement électoral, que tombaient récemment au-delà des Pyrénées deux manifestes qui sellent intimement à la crise actuelle. L’un de ces manifestes est du fils de don Carlos, du comte de Montemolin ; l’autre émane de la reine Christine et a un caractère public, bien qu’il soit sous la forme d’une lettre adressée à la reine Isabelle. Il serait difficile de préciser le sens de l’appel que le fils de don Carlos adresse au peuple espagnol. Que propose le comte de Montemolin à la Péninsule ? Il lui propose naturellement de l’accepter pour roi ; mais dans quelles conditions ? Là est le mystère malgré l’art calculé de certains passages de ce manifeste. Toujours est-il que le comte de Montemolin promet à l’Espagne l’oubli, la tolérance, la paix, la prospérité, l’union dans l’amour mystique. Ce manifeste par lui-même n’aurait pas une grande valeur, s’il n’était l’indice des espérances nouvelles qu’a dû concevoir le parti carliste, et s’il ne se rattachait à des mouvemens qui se sont déjà manifestés dans la Catalogne.

Tel est l’effet d’une révolution en Espagne : tous les périls renaissent à la fois, et le meilleur auxiliaire que puisse trouver le comte de Montemolin, c’est l’anarchie. Le manifeste de la reine Christine a un autre caractère ; il est l’expression d’une autre situation. C’est une défense contre les imputations dont la veuve de Ferdinand VII a été l’objet. Le manifeste de la reine Christine paraît avoir produit une certaine impression à Madrid et réveillé les haines dont la mère de la reine Isabelle a failli être victime. Nous ne vou-