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Dans le rôle d’Elvino de la Sonnambula, le talent de Rubini s’était élevé avec le génie de son compositeur préféré. Tout le monde se rappelle à Paris comment il disait la phrase : Prendi, l’anel ti dono, dans le duo du premier acte, et avec quel mélange de grâce et d’émotion naïve il chantait le joli madrigal qui forme le sujet du second duo : Son geloso. Dans le quintetto du finale du premier acte, Rubini était d’un pathétique sublime en chantant la phrase si connue et si touchante :

Ah! tel mostri s’ io t’ amai
Questo pianto del mio cor!


Et qui donc ne donnerait dix opéras en cinq actes, comme ceux qu’on représente chaque jour, pour entendre chanter à Rubini, une seule fois par semaine, ce cri de l’amour désespéré, dans le duo du second acte de la Sonnambula :

Pasci il guardo, e appaga l’alma
Dell’ eccesso de’ miei mali;
Il più tristo de’ mortali
Sono, cruda, e il son per te !


Dans le rôle d’Arturo des Puritains, qui a été sa dernière création, Rubini a laissé de tels souvenirs d’émotion et d’enchantement, qu’on ne peut que les rappeler à ceux qui l’ont entendu, sans prétendre à en transmettre l’idée aux générations qui n’ont pas eu ce bonheur. Citons d’abord la phrase du quatuor du premier acte :

A te, o cara, amor talora
Mi guidò furtivo e in pianto,


où le virtuose épanouissait sa voix comme une rose printanière aux rayons du jour; puis à cette phrase spianata et sereine, il opposait avec vigueur celle qui accompagne ces paroles : tra la gioja e l’esultar en poussant un magnifique la de poitrine qui retentissait jusque dans les nues, et se répercutait dans les profondeurs de l’harmonie. Dans le finale du premier acte, il lançait avec puissance le passage 7non parlar di lei ch’ adoro, où il faisait un point d’orgue des plus audacieux. Citons encore la romance du second acte, A una fonte offlitto e solo, que Rubini murmurait et laissait échapper de ses lèvres comme un soupir, et dans le duo qui suit cette romance la phrase pleine d’éclat nel mirarti un solo istante, puis enfin le duo entre Elvira et Arturo, où Rubini s’élevait à une grande énergie d’expression dans ce passage mémorable :

Non un sarai rapita,
Fin che ti stringerô.


Dans Anna Bolena et la Lucia de Donizetti, Rubini n’était pas moins admirable que dans les opéras de Bellini. Dans le premier de ces ouvrages, où il a créé le rôle de Percy, il chantait avec une émotion profonde l’air fameux de vivi tu, te ne scongiuro, où Donizetti a évidemment imité la tournure mélodique de son jeune rival. Quant à la scène de la malédiction qui forme le nœud dramatique du beau finale de la Lucia, aucun chanteur n’a pu reproduire le sanglot de fureur que Rubini lançait alors de sa bouche frémissante.