Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/390

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voix, fatiguée par toute sorte d’excès, ne possédait plus qu’une sonorité inégale et capricieuse. Au milieu d’une foule de traits d’assez mauvais goût, de manières et de vezzi ridicules, le grand artiste se révélait encore cependant et transportait le public d’admiration comme dans le duo du second acte de la Gazza ladra, qu’il chantait avec Mme Malibran. Nozzari, chanteur savant et d’un goût parfait, a été dans les principaux opéras de Rossini l’inséparable compagnon de Davide, auquel il a donné de très bons conseils. N’oublions pas Mombelli, père de la prima donna que nous avons entendue à Paris en 1823, où elle nous a révélé surtout le premier finale de la Cenerentola. Rossini avait rencontré Mombelli au début de sa carrière à Rome en 1812, où il écrivit pour lui un rôle dans son premier opéra, Demetrîo e Polibio. Il faut nommer encore Blanchi, Bonoldi, Serafino, pour qui a été composée la partie de ténor dans l’Italiana in Algieri; Donzelli, voix puissante, sonore, mais lourde; enfin Rubini, pour qui Rossini n’a écrit qu’une seule cantate, la Riconoscenza, sorte de pastorale à quatre voix qui fut exécutée à Naples au théâtre Saint-Charles, le 27 décembre 1821, dans une soirée au bénéfice de l’immortel maestro. Bien que par la souplesse, par l’éclat et la bravoure de son talent, Rubini appartienne évidemment à l’école de chanteurs qu’a formés l’auteur d’il Barbiere, d’Otello et de Semiramide, il est certain cependant que le musicien qui a su le mieux utiliser et faire ressortir les qualités intimes de ce grand artiste, c’est Bellini.

Nous l’avons dit bien souvent, il existe entre le compositeur dramatique et les interprètes connus de sa pensée une influence secrète et réciproque, dont le critique doit tenir compte. Pour un ou deux musiciens sublimes qui, comme Mozart, comme Rossini dans les meilleurs de ses opéras, savent créer des chefs-d’œuvre sans excéder les limites des voix ordinaires, il y a un grand nombre de compositeurs qui s’empressent de saisir la moindre curiosité de la nature, et mettent leur plume au service d’un virtuose exceptionnel. Nulle part ce fâcheux système n’a été plus souvent pratiqué qu’en Italie, et nous avons aussi, en France, la moitié du répertoire de l’Opéra-Comique qui n’a dû une partie de son succès qu’à la voix extraordinaire de Martin. Entre le génie touchant et mélancolique de Bellini, la voix et la sensibilité pénétrantes de Rubini, les rapports d’analogie étaient si nombreux et si naturels qu’ils ont dû se sentir attirés l’un vers l’autre comme les deux moitiés d’un seul et même être qui se retrouvent et se confondent dans une conception de l’art. C’est à Milan, en 1827, qu’eut lieu cette heureuse rencontre du compositeur et du virtuose, et l’opéra d’Il Pirata, représenté au théâtre de la Scala, fut la première bataille qu’ils gagnèrent ensemble. Cet opéra, qui commença la fortune du jeune maestro de Catane, accrut aussi la réputation de son admirable interprète. La Sonnambula fut le second ouvrage que Bellini composa pour son chanteur favori. Cet opéra fut également représenté à Milan, au théâtre de la Canobiana, en 1831. Puis vinrent les Puritains, donnés au Théâtre-Italien de Paris en 1834, où Bellini mourut six mois après son chef-d’œuvre, comme Hérold après son Pré aux Clercs. Donizetti a écrit aussi pour Rubini le rôle de Percy dans son opéra d’Anna Bolena, représenté à Milan en 1831, quelque temps après la Sonnambula, et par les mêmes virtuoses.

La voix de Rubini était celle d’un ténor élevé ayant une étendue de plus