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risquer sa vie et celle des ouvriers. À Amram-ibn-Ali, où nous avons pu pratiquer beaucoup de galeries à cause de la grande proportion d’humus qui se joint dans ce vaste tumulus aux fragmens de briques et de poteries, j’ai cependant perdu un ouvrier écrasé par un éboulement. Il faut donc en Babylonie travailler à ciel ouvert, et, par une conséquence inévitable, entreprendre d’immenses déblais, c’est-à-dire remuer et transporter à une distance convenable des millions de mètres de briques concassées. »

Le calcul suivant de M. Oppert vient à l’appui des raisons données par M. Fresnel, et nous montre la difficulté, sinon l’impossibilité, d’exécuter des fouilles efficaces sur l’emplacement de Babylone, si l’on ne se décide à faire une dépense considérable. « J’ai fait le calcul, dit M. Oppert, qu’en moyenne, un ouvrier à Babylone remue 1 mètre cube par jour, en faisant entrer dans l’évaluation les gens employés à enlever la poussière. En moyenne, nous payons un ouvrier 2 piastres 1/2 par jour ; chaque mètre cube coûte donc 2 piastres 1/2. En évaluant la masse du Kasr à 1 million 1/2 de mètres cubes, celle de Babel à 2 millions, celle de Amran-ibn-Ali à 3 millions, nous aurons un total de 6 millions de mètres cubes environ. Toutefois il ne faudrait, en moyenne, remuer que la vingt-cinquième partie du tout, c’est-à-dire que pour chaque cube de 3 mètres de côté, on n’a besoin de remuer qu’un cube de 1 mètre de côté. Il n’y aurait donc qu’à déplacer et explorer 240, 000 mètres cubes, ce qui nécessiterait une dépense de 600, 000 piastres, soit 140, 000 fr. » Le Birs-Nîmroud et Ibrahim-el-Khalil, qui à eux seuls représentent 11 millions environ de mètres cubes, coûteraient ainsi le double de cette somme à fouiller : aussi M. Oppert pense-t-il qu’il ne faudrait faire sur ces deux points qu’une exploration superficielle.

On conçoit qu’en présence de difficultés de cette nature, M. Fulgence Fresnel ne parle qu’avec un véritable sentiment d’envie de ces monticules argileux, revêtus d’une belle robe de verdure, du pachalik de Mossoul, dont l’exploration était échue en partage à M. Place. Cette même différence qu’on rencontre dans les matériaux et la construction des édifices babyloniens et ninivites devait se produire dans leurs arts, plus rustiques à Ninive, plus raffinés à Babylone. Nous croyons, par exemple, que les sculpteurs babyloniens, « tous ces artisans d’idoles, » comme dit Isaïe, employaient des matériaux sinon plus durables, du moins plus précieux que les artistes de Ninive. Cette statue de 60 coudées que Nabuchodonosor fit ériger dans la plaine de Doura et dont M. Oppert croit avoir retrouvé le piédestal, toutes les descriptions que nous ont laissées les livres saints du luxe monstrueux de la grande Babylone, ne permettent aucun doute sur ce sujet. Isaïe prophétisant la chute de Babylone et nous faisant assister à la ruine et à la dispersion de ses habitans, nous donne une idée du grand nombre d’idoles qui peuplaient leurs temples. « Bel a été rompu, s’écrie-t-il, Nabo a été brisé ; les idoles des Babyloniens ont été mises sur des bêtes et sur des chevaux ; ces dieux que vous portiez dans vos solennités lassent par leur grand poids les bêtes qui les emportent. » Ces idoles étaient la représentation exacte de la figure de l’homme dans toutes ses attitudes et sous tous ses aspects. Elles avaient les mêmes membres et les mêmes organes, portaient les mêmes vêtemens, étaient couvertes des mêmes armes, ornées des mêmes joyaux, honorées des mêmes attributs ;