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conjectures sur l’ensemble de ce vaste édifice. M. Fresnel a reconnu toutefois que l’Euphrate, en se portant d’occident en orient, comme le prouvent la différence de niveau de ses bords et l’escarpement de la rive orientale, corrodée par ses eaux, avait frayé son nouveau lit à travers les substructions du grand palais, qui paraissent s’étendre au loin sous les eaux mêmes du fleuve.

M. Thomas, architecte attaché à l’expédition, profitant du moment où les eaux de l’Euphrate étaient descendues au-dessous de leur niveau ordinaire, a fouillé des massifs adhérens à ces substructions, et y a rencontré des sarcophages en terre cuite, d’une exécution grossière, mais qui, par l’étrangeté de leurs formes et l’exiguïté de leurs dimensions, ont fixé l’attention des membres de l’expédition. Leur largeur n’est en effet que de 40 centimètres, leur longueur de 36, et leur hauteur de 50. Le corps placé dans ces espèces d’urnes devait être replié sur lui-même, les genoux touchant au menton, les bras croisés entre la poitrine et les cuisses, formant une sorte de paquet. M. Fulgence Fresnel suppose que ces sarcophages n’étaient destinés qu’aux classes infimes de la cité. Bien que ces sarcophages aient été trouvés au niveau des anciennes substructions des palais babyloniens, et qu’on pût les croire d’origine chaldéenne, MM.  Fresnel et Oppert les regardent comme appartenant aux Parthes.

Une tranchée, poussée à une profondeur de 5 ou 6 mètres à travers les débris du Kasr, permit en outre aux explorateurs de reconnaître que les fondations du palais avaient été sapées en tous sens par les anciens carriers ou sakharah. Les parties restées adhérentes ressemblent à d’énormes roches, et menacent la vie des ouvriers sur lesquels elles sont comme suspendues. Ces fragmens, composés de briques d’un pied carré, liées entre elles par un mortier de chaux, sont entassés dans une telle confusion, qu’il n’est pas d’architecte, quelque active que fût sa pénétration, qui pût, non pas restituer l’ancien édifice, mais seulement établir quelques conjectures probables sur sa forme et son véritable emplacement. « Cet emplacement, ajoute M. Fresnel, est cependant indiqué par d’énormes pans de mur de deux à trois mètres d’épaisseur qui n’occupent qu’un point de cette mer de débris, et semblent n’avoir d’autre destination que d’attester un grand naufrage. Sur une des collines culminantes, un arbre solitaire, le plus vieux de toute la contrée, le célèbre athléh, ce tamarin que Rich prit pour un salix[1] (en vertu sans doute du psaume Super flumina Babylonis), se présente à quelques rêveurs comme un dernier rejeton des arbres des fameux jardins suspendus ; tout le reste n’est que poussière. On conçoit en effet que durant un laps de tant de siècles, tous les édifices ou objets, petits ou grands, qui se trouvaient à la surface ou dans les couches supérieures aient dû être ou détruits ou enlevés. »

Un seul monument était resté sur place, à demi renversé et enseveli dans les débris de la partie nord-est du Kasr : c’est un groupe colossal représentant un lion terrassant un homme. M. Fresnel l’a fait relever et replacer en quelque sorte sur sa base. Ce groupe, qui n’acquiert d’importance que par sa masse, est très fruste et tout à fait dégradé. La matière est un granit gris ou noir extrêmement grossier et sans homogénéité. M. Thomas a reconnu que

  1. Bien qu’il n’ait jamais été question de saules dans le texte hébreu.