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voyage à Florence, où il avait parmi les jeunes libéraux un grand nombre de connaissances, pour les gagner à son projet et étendre son plan à la Toscane ; mais il y avait déjà là une société secrète, les libéraux toscans avaient reçu récemment des ouvertures des carbonari de Bologne, et alors à quoi bon une nouvelle société ?

Le carbonarisme, fondé d’abord dans le royaume de Naples contre l’occupation française, encouragé par le roi Ferdinand en personne, n’avait pas tardé à devenir formidable aux souverains italiens eux-mêmes. Il était alors dans toute sa floraison, non-seulement en Italie, mais dans toute l’Europe. C’était le carbonarisme qui avait soulevé les révolutions de 1821. Le pape Pie VII l’avait excommunié, le roi Ferdinand l’avait persécuté après l’avoir encouragé. « Toutes ces rigueurs, dit Lorenzo, avaient accru la fascination qu’exerçait cette secte, au lieu de la diminuer. Une atmosphère de sombre poésie entourait ces êtres étranges que l’imagination populaire se figurait tenant leurs séances dans les bois et les cavernes à l’heure de minuit, et continuant leur œuvre mystérieuse sans s’inquiéter en rien des foudres du Vatican ou de la perspective de l’échafaud. » Fantasio dut donc se contenter pour le moment de s’affilier à cette toute-puissante société. Il multiplia les voyages et les correspondances. Il essaya d’aller à Bologne sous prétexte de comparer et d’examiner quelques manuscrits très rares de la Divine Comédie, en réalité pour se concerter avec les chefs de la vente de cette ville ; mais le gouvernement lui refusa un passeport. Cependant l’œuvre secrète n’en marchait pas moins rapidement. Deux émissaires toscans s’étaient rendus auprès de Fantasio. Lorenzo, qui les contemplait avec la curiosité passionnée d’un sauvage et d’un enfant, décrit ainsi les impressions qu’il éprouvait à leur aspect.


« Les deux émissaires avaient un message spécial pour la vente suprême de Paris. Paris ! l’inconnu ! l’infini ! la vente suprême ! un je ne sais quoi couronné de nuages porteurs de la foudre ! On chuchotait des noms, des noms que je n’avais jamais entendu prononcer, que depuis ma première enfance je n’avais jamais rencontrés dans mes lectures sans un frisson d’admiration respectueuse, des noms qui dans ma pensée représentaient des demi-dieux, Lafayette, Lamarque, Foy ! Mon cœur se gonflait, ma tête se troublait, un désir passionné d’accomplir quelque chose de grand s’emparait de moi. Combien ces jeunes gens étaient heureux ! comme je les admirais ! comme je les enviais ! deux beaux, nobles, sincères jeunes hommes s’il y en eut jamais, croyant fermement à chacune des paroles qu’ils prononçaient, et prêts à verser leur sang pour témoigner de la vérité de ces paroles ! Ce n’est que d’hier encore que tombait l’un d’entre eux en combattant les Autrichiens dans un faubourg de Bologne. Honneur à toi, brave Marliani ! »