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— J’y tâche, et, je dois être juste, Eugène paraît vouloir m’y aider.

Lazare fit en effet la remarque qu’Eugène redoublait d’attention auprès de sa maîtresse.

Environ un mois après cette soirée, Lazare, qui continuait à être familier dans la maison, crut remarquer quelques symptômes indiquant une décroissance dans la lune de miel renouvelée. Voyant Claire triste, il lui demanda ce qu’elle avait. Elle ne lui répondit pas, et se borna à lui montrer sur la tablette de son piano une romance qui portait pour titre : Je me souviens. Ce jour-là, Eugène avait déclaré qu’après le dîner il était obligé de passer la soirée en ville. — Lazare te tiendra compagnie, dit-il à Claire. L’artiste inclina la tête affirmativement. Après le dîner, on passa au salon. Eugène s’installa avec une voluptueuse paresse au fond d’un fauteuil et se mit à fumer, sans reparler de ses projets de sortie, qu’il paraissait avoir complètement oubliés. Lazare regardait la pendule et suivait les mouvemens du visage de Claire, dont la tristesse paraissait augmenter au fur et à mesure que l’aiguille s’approchait de neuf heures. Comme neuf heures sonnaient, Eugène se leva et agita le cordon de la sonnette de service. La servante parut à la porte du salon. — Apportez à monsieur son habit noir et son chapeau, dit Claire.

— Non, Marie, interrompit Eugène en se laissant retomber dans le fauteuil, apportez-moi mes pantoufles et ma robe de chambre.

Lazare, qui avait pris un charbon dans le foyer pour allumer son cigare, ne s’aperçut qu’à la douleur causée par la brûlure qu’il essayait de s’allumer les doigts. — Ah ! que c’est gentil de rester! s’écria Claire.

— Voilà comme je fais les surprises, moi, lui répondit Eugène. Lazare, je vous joue un piquet.

— Merci, répliqua celui-ci, j’ai un rendez-vous.

— Comme celui de l’autre jour et avec la même personne ? demanda Claire avec une intention semi-ironique, atténuée cependant par l’offre de sa main qu’elle lui fit en signe d’adieu.

— Dam ! murmura l’artiste un peu piqué en désignant Eugène, si c’était avec la même personne, la place serait libre maintenant.

Et il sortit presque brusquement. Ce soir-là, Lazare se promena pendant deux heures dans les rues de Paris, les pieds dans la neige, faisant intérieurement une querelle au mauvais temps, à lui-même, et presque disposé à en faire une aux passans qu’il rencontrait sur son chemin. Ce fut dans ces dispositions singulières qu’il monta chez les buveurs d’eau, ayant vu de la lumière à leur fenêtre. Antoine travaillait à la lampe; il mettait la dernière main à un dessin qui était une de ses premières compositions. Lazare lui en avait fait beaucoup de complimens quelques jours auparavant. Antoine s’attendait à en