de surexcitation artificielle, en se proposant un but trop lointain, ou en se chargeant de porter un fardeau trop pesant ! — La fascination que Mazzini exerçait sur ses amis explique très bien et le dévouement avec lequel ils l’ont suivi dans toutes ses entreprises, et l’implacable étourderie avec laquelle il les a compromis ou sacrifiés. Les vertus de sa vie privée lui méritaient-elles la confiance qui l’accompagnait dans la vie publique ? Il y a quelquefois une sorte de prestige moral dont abusent aux dépens de leurs amis et de leurs concitoyens des hommes parfaitement honnêtes et vertueux d’ailleurs. On croit à leurs opinions politiques et on ne songe pas à les discuter, parce que leur vie est irréprochable ; certes l’histoire de Mazzini contient plus d’un fait de ce genre-là.
Instruit comme il l’était, actif, plein d’éloquence et de fougue en tous sens, il aurait pu, en restreignant ses ambitions, rendre de grands services à son pays comme publiciste, critique, défenseur des idées modernes. Il était fait pour être un initiateur. La guerre des classiques et des romantiques était alors dans tout son éclat ; il avait pris hardiment parti pour les derniers. Il avait défendu Manzoni et Rossini contre leurs détracteurs dans une série d’articles publiés par un journal florentin dévoué aux idées romantiques. Déjà cependant il roulait dans sa tête le plan fatal qui devait occuper toute sa vie. La révolution grecque avait éclaté et attirait les regards de l’Europe entière. Dans cette lutte héroïque et glorieuse, quoi qu’on en puisse dire aujourd’hui (des résultats désastreux n’empêchent jamais un acte héroïque d’être héroïque), Mazzini était surtout frappé d’un fait, — le rôle important qu’avait joué la société secrète connue sous le nom d’Hétairie. « Ne sommes-nous pas, disait-il souvent, vingt-quatre millions d’hommes ? Sommes-nous moins intelligens, moins braves que les Grecs ? Lisez l’histoire de notre temps, et vous verrez de quoi sont capables les Italiens, lorsqu’ils sont bien dirigés et bien commandés ; vous verrez les prodiges de valeur qui ont été accomplis par nos légions italiennes en Espagne, en Russie, partout. Le joug étranger qui pèse sur nous est-il moins lourd, moins dégradant que celui qui écrasait les Grecs ? Le supportons-nous avec plus de patience ? Qu’est-ce qui nous manque donc pour accomplir ce que les Grecs ont accompli ? Rien, si ce n’est de nous entendre les uns les autres. Nous manquons d’une hétairie, voilà tout. » Cette idée favorite d’une grande société secrète faisait souvent le sujet des conversations de Fantasio avec ses jeunes amis, qu’il n’avait pas de peine à convaincre. Dès cette époque, il avait conçu le plan de ce qui fut plus tard la Jeune-Italie. Il l’avait rédigé et proposé à la facile approbation de ses compagnons. Il ne voulait pas restreindre son hétairie à Gênes et au Piémont seulement, et il fit un