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— Et à quel propos, bon Dieu ? dit Eugène.

— Comment ! fit l’artiste, et il lui rappela dans quelles circonstances il l’avait laissé la dernière fois qu’il l’avait vu.

— Oh! c’est fini, répliqua le jeune homme.

— Ah! dit Lazare, je m’en doutais. Je crois vous avoir prévenu.

— Tous ne me comprenez pas, reprit Eugène. Les choses n’ont pas eu les suites que je pouvais craindre. La scène a été vive, très vive, c’est vrai : il a été question de rompre, on en a discuté les moyens; mais discuter n’est pas agir, et dans un cas pareil, quand le fait ne suit pas les paroles, autant vaut ne pas menacer. Il est telles choses qui ne peuvent s’exécuter que dans de certaines conditions, à certaines heures. La nuit n’est pas propice pour les séparations, surtout entre gens qui n’ont pas le désir réel de se quitter : les heures sont trop longues, il faut les combler par des explications mutuelles qui amènent presque toujours des rapprochemens. Après les reproches viennent les larmes, et vous savez le proverbe : petite pluie abat grand vent. La conclusion de ces sortes de scènes nocturnes, c’est qu’on ajoute un nouvel anneau à la chaîne qu’on a voulu briser, et à l’heure où le soleil se lève, on fait absolument le contraire de ce que faisait Roméo quand il entendait l’alouette. C’est à peu près ce qui nous est arrivé à Claire et à moi. Le lendemain de cette fameuse aventure de la lettre, nous sommes partis pour la campagne par le premier convoi, et à trente lieues d’ici, il y a un petit pays perdu dans les bois dont les échos peuvent répéter notre amoureux ramage.

— Eh bien! dit Lazare, je suis enchanté que cela se soit arrangé, car enfin, ajouta-t-il naïvement, je pouvais avoir des inquiétudes.

— Seulement, dans tout ceci, ajouta Eugène, je ne crains qu’une chose, c’est que Claire ne vous garde rancune de vous être fait le complice de mes fredaines en prenant la dernière pour votre compte afin de la tromper.

— Mais si je voulais la tromper, c’était dans une bonne intention, interrompit l’artiste étonné.

— Ah! que voulez-vous ? les femmes!... dit Eugène. Et là-dessus, on vous attend ce soir pour dîner.

— Non pas, je ferais chez vous trop sotte figure.

Lazare céda cependant aux instances de son ami et à celles de la nécessité. Ce ne fut pas sans embarras qu’il se retrouva en face de la jeune femme, qui de son côté remarqua en lui quelque apparence d’hostilité. La première fois qu’il se vit en tête à tête avec la maîtresse d’Eugène, celle-ci lui dit : — Ne me parlez jamais de ce qui s’est passé. Je veux l’oublier.

— Y parviendrez-vous ? lui demanda-t-il.