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— Maladroite! s’écria Eugène en se retournant vers Claire, qu’il surprit tenant à la main le flambeau incliné.

La jeune femme regarda son amant d’une façon singulière, et mit rapidement son doigt sur sa bouche. — Voilà un dessin perdu, n’est-ce pas, monsieur ? dit-elle à Lazare.

— Mais non, madame, répondit l’artiste avec un certain embarras. Cela ne fera qu’une tache légère, et comme elle est cachée dans un pli de vêtement, elle passera inaperçue.

— Je vous demande pardon, le dessin est gâté. C’est ta faute, dit Claire en se retournant vers Eugène : c’est toi qui m’as poussée.

— Eh bien! puisque nous sommes deux dans l’accident, nous serons de moitié dans la réparation, répliqua Eugène, qui paraissait avoir compris.

— Monsieur, dit Claire, comme votre ami ne pourra plus trouver le placement de ce dessin...

— Mais je vous assure, madame, interrompit Lazare avec vivacité, que tout le dommage est réparé. Voyez, ajouta-t-il en montrant l’endroit où était tombée la goutte de cire, qu’il avait enlevée avec son canif, il faudrait avoir su l’accident pour en retrouver la trace.

— Vous nous avez dit vous-même tout à l’heure que votre ami avait eu un dessin pareil à celui-ci refusé pour un défaut encore moins saillant, insista Claire.

— Vous aviez même peur d’une goutte de pluie, ajouta Eugène.

— Monsieur Lazare, dit la jeune femme, vous ne pouvez pas vous refuser à une chose aussi juste que celle que je dois vous proposer. J’ai par maladresse gâté une œuvre qui n’a plus de valeur pour la personne qui l’a commandée : c’est donc à moi que ce dessin appartient; mais pour qu’il m’appartienne, il faut d’abord que je le paie. Quel en est le prix ?

— Madame, je vous l’ai dit tout à l’heure : Paul était convenu de cinquante francs avec la personne qui lui avait commandé ce dessin.

— Pardon, fit Claire en souriant, mais vous disiez que cette personne spéculait sur la situation de... des artistes avec qui elle faisait des affaires.

— Et comme Claire ne veut pas être confondue avec ces gens-là, ajouta Eugène, elle entend payer l’œuvre ce qu’elle vaut, c’est-à-dire la somme que vous avez évaluée vous-même. C’est deux cents francs que tu as à donner, mon enfant, dit le jeune homme en se retournant vers sa maîtresse, qui lui adressa un sourire de remerciement.

Lazare resta un moment indécis, regardant tour à tour Eugène et Claire, qui l’observaient de leur côté. — Madame, dit l’artiste en tirant la copie du carton pour la mettre sur une table, voici le dessin, il vous appartient aux conditions qu’il vous plaira, et que j’accepte