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— Oui, interrompit Eugène, parce que vous m’avez laissé partir en emportant l’idée de ce que vous venez de m’avouer. Ah! je vous en ai voulu, vrai !

— Ne parlons plus de cela, fit Lazare embarrassé.

— Oui, pour le moment, mais nous en reparlerons plus tard. Je vous emmène, n’est-ce pas ?

— Mais où allons-nous ? Chez vous ? demanda Lazare.

— Chez moi, fit Eugène en riant, oui... un peu!

— Comment ! reprit Lazare naïvement, vous n’êtes pas chez vous tout à fait ?

— Vous le saurez tout à l’heure, dit le jeune homme.

Eugène conduisit Lazare chez sa maîtresse. C’était une jeune femme d’apparence assez distinguée, qui, restée veuve et sans fortune, avait été dans l’obligation de mettre à profit pour vivre le talent très remarquable qu’elle possédait sur le piano. Ses relations avec Eugène n’avaient apporté aucun changement dans son existence, animée seulement par une affection qu’elle voulait sans doute, pour la rendre plus durable, détacher de tout intérêt. Claire était jolie, mais elle appartenait à cette race de femmes, types des figures de second plan, dont le charme peut se dépeindre d’un seul mot : la grâce au repos. Sa beauté véritable ne se révélait que pour solenniser les joies intérieures de son âme. C’était comme la robe de fête de son visage.

— Ma chère Minerve, lui dit Eugène en lui présentant Lazare, un de mes amis qui passe la soirée avec nous...

Au nom singulier que son ami donnait à sa maîtresse, l’artiste avait dressé la tête; il s’aperçut que la jeune femme avait souri et rougi. — Je l’appelle Minerve, dit Eugène embrassant Claire, parce que c’est la sagesse même. Tout à l’heure je la prierai d’aller mettre son casque et de m’adresser ses remontrances, parce qu’hier j’ai fait des folies.

Dans un lieu où l’on vient pour la première fois, de même que le bon accueil est le salut des personnes, le bon aspect est le salut des choses. Il y a des maisons où, sans qu’on sache pourquoi, les fauteuils semblent se reculer quand on veut s’y aller asseoir, et d’autres au contraire où ils semblent venir au-devant de vous avec d’amicales et hospitalières invitations. Au bout d’une heure, Lazare était aussi à l’aise dans ce joli salon, où toutes les séductions de l’intérieur avaient été prévues, que s’il en eût été l’hôte assidu depuis longtemps. Tout en causant, il se promenait et regardait quelques gravures simplement encadrées qui garnissaient les murs. C’étaient des reproductions des maîtres modernes, et leur choix indiquait un véritable goût d’artiste. Presque toutes ces gravures étaient avant la