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laissa assez longtemps dans la sienne, comme pour faire un appel à un meilleur esprit de justice.

— Gageons que vous me trouvez ridicule ! dit Lazare avec le sourire d’un homme qui sait avoir tort.

— Je ne veux pas profiter de la première fois que je viens chez vous pour vous dire une chose désagréable, répondit tranquillement Eugène.

Lazare comprit le reproche et laissa partir son ami. Furieux de ce que celui-ci ne l’eût pas violenté pour lui faire avouer la stupidité de sa conduite, il eut un moment l’intention de courir après Eugène ou de lui écrire pour s’excuser de la méchante réception qu’il lui avait faite, mais il puisa dans son amour-propre toutes sortes de raisons frottées d’un faux vernis de dignité qui l’arrêtèrent. Il préféra s’en remettre au hasard d’une prochaine rencontre pour s’expliquer amicalement avec Eugène. L’occasion ne se fit pas attendre. Huit jours après, comme Lazare sortait du Musée, il fut assailli par une grosse pluie qui menaçait de pénétrer dans le carton qu’il avait sous le bras et où se trouvait un dessin achevé dans la journée. En courant pour se mettre à l’abri sous l’un des guichets du Louvre, il s’entendit appeler : c’était Eugène qui passait en voiture. Celui-ci fit arrêter le cocher, ouvrit la portière, et tendit la main à Lazare pour l’aider à monter dans le coupé.

— Vous ne refuserez peut-être pas ce service-là, lui dit-il en riant, surtout par le temps qu’il fait ?

— Tenez, dit Lazare gaiement, pour me mettre plus à l’aise, faites-moi donc le plaisir de me dire que j’ai été stupide avec vous l’autre jour.

— De tout mon cœur, répliqua Eugène sur le même ton; je n’ai pas pour m’abstenir les mêmes raisons que ce jour-là, je ne suis ni chez vous ni chez moi : vous avez été complètement absurde.

— Que voulez-vous ? Tout allait mal ce jour-là : la cheminée fumait, mon tabac était humide, je ne pouvais pas travailler; j’avais envie... mieux que ça... j’avais besoin de me disputer.

— Je n’aime pas beaucoup ces parties-là, reprit Eugène, surtout dans certaines conditions; mais si vous voulez venir avec moi dans un endroit où la cheminée ne fume pas et où l’on trouve du tabac sec, nous nous disputerons tant que vous voudrez, après dîner toutefois.

— Tenez, interrompit Lazare, confession entière : le jour où vous êtes venu, je crois que j’étais à jeun, à moins que ce ne soit la veille.

— Alors, reprit Eugène avec un accent de véritable reproche, vous avez été plus que ridicule; vous avez été cruel.

— Cruel ? fit Lazare.