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« — Je vous demande bien pardon, monsieur, mais n’est-ce pas à l’accusateur de prouver la culpabilité ? L’innocence n’a pas besoin d’être prouvée ; elle est toujours présumée, n’est-ce pas ?

« — Admirable, parfaitement bien dit, très solidement raisonné, mon cher monsieur Benoni. Il est aisé de voir que vous avez du sang d’avocat dans les veines, et je suis tout joyeux de voir les progrès que vous faites. Seulement, dans votre affaire, mon cher monsieur, soyez assez bon pour remarquer que le tribunal a prononcé son jugement, et que par conséquent il existe ce que nous appelons res judicata. Hi ! hi ! hi !

« — Mais si le tribunal a condamné sans entendre l’accusé ?

« — Cela dépend, mon cher monsieur, de la nature exceptionnelle du tribunal. La commission de l’instruction publique est une sorte de magistrature paternelle qui est présumée ne jamais prévariquer,… et contre les décisions de laquelle il n’y a pas d’appel, ajouta M. Merlini — cette fois avec une grimace.

« — Soit, repris-je, mais la commission d’instruction publique, une fois mieux informée, ne peut-elle pas annuler ses propres décisions ?

« — Pour qu’une telle chose arrive, il faut qu’il y ait des motifs sérieux, très sérieux. Maintenant soyons francs, vous m’intéressez, et je désire vous être utile. Pour obtenir l’indulgence de la commission, il faut la mériter, et il n’y a qu’un moyen pour cela : c’est de me dire ici, tout à fait entre nous, en toute confiance, comme en confession, les noms des auteurs du désordre de dimanche dernier.

« — Dénoncer mes camarades ! dis-je en tressaillant. Quand bien même je saurais ce que vous me demandez, et je ne le sais pas, rien ne pourrait m’engager à me rendre coupable d’une action aussi vile.

« M. Merlini cessa alors de faire patte de velours, et montra ses griffes. — Vous les connaissez, dit-il, et vous êtes l’un d’eux. Et quand bien même cela ne serait pas, les détestables paroles que vous venez de prononcer font de vous moralement leur complice. Allez, monsieur, vous recevez ce que vous méritez. »


Proscrit temporairement de l’université, à quoi le jeune Lorenzo pouvait-il passer son temps ? Comment satisfaire à cette exubérante activité de la jeunesse, lorsqu’on est ni chargé d’une tâche régulière, ni amoureux, ni très lancé dans le monde des vanités et de la mode, sinon en s’occupant des affaires du genre humain, en cherchant à mettre ses rêves en pratique ? La plupart des folies des jeunes gens proviennent du grand nombre d’heures qu’ils ont à dépenser, et de la nécessité où ils sont de les remplir tant bien que mal. La jeunesse, c’est le travail de Sisyphe roulant éternellement son rocher qui retombe sans cesse, c’est le tonneau des Danaïdes éternellement rempli et éternellement vide : doux supplice, ardent martyre dans lequel s’usent les forces de l’âme et du cœur, qui livre à la vie sérieuse des hommes qui ne sont plus que l’ombre et la moitié d’eux-mêmes, période fatale que la nature, jalouse, dirait-on, de la