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chez Alarcon surtout, et présager un âge meilleur. Symptômes bien fugitifs, hélas! Le despotisme et l’inquisition portent leurs fruits, les maîtres de l’art ne trouvent pas dans la conscience générale de leur temps l’appui dont le poète dramatique a besoin, et au moment où nous croyons voir luire à l’horizon la première aube de la renaissance, une période de mort a déjà commencé.

Et pourtant, que de germes de vie dans ce XVIe et ce XVIIe siècle ! Ici, c’est l’école des mystiques penseurs, l’école de sainte Thérèse, de Luis de Léon, de Luis de Grenade, un des groupes les plus originaux que présente l’histoire des lettres espagnoles; là, c’est l’esprit vigoureux et charmant, qui, associant le bon sens le plus vif au sentiment des fières traditions de son pays, semblait par son Don Quichotte avoir résolu le problème proposé à l’Espagne et donné le signal des transformations de l’esprit public. Deux habiles poètes allemands viennent d’attirer de nouveau l’attention sur le groupe des penseurs mystiques par une traduction excellente des hymnes de Luis de Léon. Quand on voit ce noble écrivain expier dans les cachots de l’inquisition les pieux élans de sa belle âme, quand on voit, non pas l’hérésie à coup sûr, mais le spiritualisme, puni comme un crime envers l’autorité religieuse, on comprend mieux tout ce que le régime d’un Philippe II a pu étouffer de fécondes semences et détruire de trésors. Il faut remercier M. Schlüter et M. Storck d’avoir traduit avec tant de soin les hymnes de celui que les Espagnols appellent le maître de la langue castillane. Il faut remercier aussi M. Germond de Lavigne d’avoir ranimé notre admiration pour Cervantes en nous faisant mieux apprécier l’œuvre de ce téméraire Avellaneda qui osa disputer à l’inventeur la gloire de terminer Don Quichotte. Je dis que notre admiration pour Cervantes a redoublé; ce n’est pas là pourtant ce que voulait le traducteur. M. Germond de Lavigne connaît très bien l’Espagne du XVIe et du XVIIe siècle, et il a le goût des curiosités littéraires; il était tout naturel que le traducteur de la Célestine et de don Pablo de Ségovie se prît un jour d’une belle passion pour le Don Quichotte d’Avellaneda, et qu’il voulût le venger de l’oubli et du dédain. Toutes les questions de bibliographie et d’histoire qui se rapportent à ce singulier épisode sont traitées par lui avec soin. Si vous voulez savoir les conjectures les plus probables sur l’écrivain pseudonyme qui eut l’audace de rivaliser avec Cervantes, si vous êtes curieux de connaître les détails de cet épisode, les opinions des principaux critiques, espagnols, les destinées du livre d’Avellaneda, lisez la dissertation de M. Germond de Lavigne. Les jugemens littéraires de l’habile traducteur sont-ils aussi irréprochables que son érudition ? Non, certes; il ne faut pas chercher une pensée impartiale dans ce plaidoyer pour Avellaneda. L’œuvre d’Avellaneda est d’ailleurs sous nos yeux, c’est cela seul qu’il faut voir. De l’esprit, du talent, de l’invention comique, il y en a certainement chez l’audacieux pseudonyme : quelle distance pourtant du copiste au modèle ! Où est cette grâce souriante, cette gaîté franche et bien venue ? où est surtout ce don merveilleux de l’invention qui fait de don Quichotte et de Sancho des personnages vivans ? Avellaneda emprunte l’idée de Cervantes et la suit logiquement comme un rhétoricien exercé qui ne s’écarte pas du plan de son discours. Qu’on vante tant qu’on voudra cette régularité timide, il y a dans les œuvres de l’art une logique supérieure : c’est le développement