Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Molière et Wycherley, avec Goldoni et Kotzebue. » L’auteur du Misanthrope et du Tartufe abaissé au rang du cynique Wycherley ! Le maître incomparable de la scène comique confondu avec Kotzebue, avec Goldoni, et sacrifié aux élégantes fantaisies de Lope de Vega ! On ne réfute pas de telles choses; on les cite, cela suffit. M’obligerait-on aussi à discuter avec M. de Schack lorsqu’il affirme que les personnages de Racine sont des poupées de bois, et qu’ils parlent ridiculement la langue des marionnettes ?

Je me demande, au reste, si ce sont là des opinions littéraires, ou si ce n’est pas plutôt un acharnement préconçu contre le génie même de la France. Quand Schlegel s’efforce de déprécier Molière, il est dupe de son système; l’homme qui outrage ici et Molière, et Corneille, et Racine, est un de ces gallophobes dont la grande inspiration est la haine. Grave, attentif, scrupuleux sur tout le reste, il semble devenir un autre homme dès qu’il est question de nous. Cet érudit, qui se croirait si coupable s’il commettait une erreur de date ou une omission insignifiante à propos des poètes les plus obscurs de l’Espagne, perd la notion du juste et de l’injuste au nom seul des immortels maîtres de notre langue. Corneille fait jouer le Cid en 1636; vingt-deux ans après, un poète castillan nommé Diamante, s’inspirant à la fois et de la peinture épique de Guillen de Castro et du pathétique de Corneille, reproduit presque littéralement plusieurs scènes du poète français dans le drame intitulé l’Homme qui honore son père (el Honrador de su padre). Les dates sont là, l’imitation de Diamante est manifeste, et M. de Schack, obéissant à un premier mouvement d’impartialité, signale en effet ce que Diamante doit à Corneille; mais qu’importent les dates ? qu’importe ce premier mouvement involontaire ? L’historien se ravise dans son troisième volume, et des réflexions plus sérieuses ne lui permettent pas de mettre en doute que Corneille ait traduit Diamante. Voltaire l’avait dit déjà, mais Voltaire était trompé par des dates inexactes. M. de Schack conteste-t-il les renseignemens de la critique moderne ? A-t-il trouvé une preuve nouvelle ? Non, point de raisons, point de discussion, nulle preuve; le principal argument est celui-ci : la pièce de Diamante est trop belle pour que le poète castillan ait pu la prendre à Corneille. Après cela, comment s’étonner que l’auteur nie obstinément ce que la scène française a pu rendre parfois à la scène espagnole ? Si Corneille a copié Diamante sans le nommer, lui qui citait si loyalement ses modèles, il a bien pu composer son Héraclius d’après le fantasque drame de Calderon, en esta vida todo es verdad y todo mentira. Selon toutes les vraisemblances, c’est le contraire qui est vrai; encore une fois, qu’importe ? Sur tous ces points-là, le consciencieux Allemand a fait son siège d’avance. Et maintenant que M. le docteur Julius, dans ses annotations de Ticknor, proclame comme une suprême autorité les jugemens de M. de Schack; que M. Ferdinand Wolf, dans un savant article des Blaetter für literarische Unterhaltung (1849, n° 90), répète et envenime encore toutes les violences du grand historien qu’il admire : — s’ils obéissent à de niaises rancunes contre la France, nous les plaindrons de cette maladie opiniâtre; s’ils sont de bonne foi, au contraire, et que ce soit là vraiment leur façon d’entendre la poésie, nous prendrons la liberté de leur dire comme l’Italienne des Confessions de Rousseau : « Allez étudier les mathématiques ! «