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provinces de la Chine donne à M. Huc le droit de se montrer sévère à l’égard des touristes qui, pour avoir posé le pied à Macao ou dans quelque port à moitié européennisé du littoral, ont jugé à propos de présenter au public un tableau des mœurs, des coutumes et des institutions chinoises. L’auteur use largement de ce droit, et les malencontreux touristes, tout comme les publicistes d’Europe qui se permettent d’écrire sur le Céleste-Empire, sont traités par lui comme s’ils étaient des mandarins du Hou-pé. Le traitement est un peu rude : est-il juste ? Nous ne sommes plus au temps où un voyage à la Chine paraissait un événement; grâce à la vapeur, on se rend aujourd’hui à Canton en moins de deux mois; les journaux anglais de Hong-kong et de Shang-haï nous arrivent régulièrement; enfin il y a en Angleterre, aux États-Unis et même en France un assez bon nombre de personnes qui ont habité plus ou moins longtemps les ports de Chine ou qui ont étudié dans les colonies européennes de l’Asie la physionomie particulière des émigrans chinois. Par conséquent, les touristes et les publicistes seraient très mal venus à parler de la Chine comme s’il s’agissait du Congo; on ne les croirait plus et on se moquerait d’eux. Sans être précisément ouverte, la Chine n’est plus, comme par le passé, un pays tout à fait inconnu, sur lequel on puisse impunément broder des contes des Mille et une Nuits.

L’ouvrage de M. Huc a déjà obtenu un légitime succès. Cependant, si l’on en retranche les aventures du voyage, on y trouve peu de choses nouvelles et inédites. Je n’en veux pour preuve que les citations assez nombreuses que l’auteur a extraites des livres publiés soit par les anciens missionnaires, soit par des voyageurs qui se sont bornés à visiter les ports de Chine. Je suis même obligé de prévenir le lecteur qu’il ne doit point attribuer exclusivement à M. Huc toutes les descriptions de mœurs qui se rencontrent dans son récit, et qui se produisent ou plutôt sont reproduites sans la moindre indication des sources où elles ont été puisées. Ainsi j’ai lu dans le Voyage autour du Monde de Le Gentil une description des différentes cérémonies qui se rattachent aux mariages chinois, et j’ai eu le plaisir de relire cette même description, un peu moins complète, il est vrai, dans l’ouvrage de M. Huc. Je comprends qu’il n’y ait pas en Chine deux façons de se marier, et les récits de deux voyageurs également véridiques doivent présenter une grande analogie; mais il paraît difficile que l’analogie s’étende aux détails du texte[1]. C’est dans une

  1. On peut comparer les pages 53 à 96 du deuxième volume du Nouveau voyage autour du Monde, par Le Gentil (Amsterdam 1728), avec les pages 259 à 268 du deuxième volume (deuxième édition) de l’Empire chinois, par M. Huc. On remarque aisément la similitude textuelle d’un grand nombre de phrases dans les deux livres. Seulement la description du mariage chinois dans le livre de M. Huc est moins détaillée que dans celui de Le Gentil, et l’ordre des paragraphes n’est pas le même.