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cercueil, qu’ils s’empressèrent de montrer à M. Huc, était fait de quatre énormes troncs d’arbres « bien rabotés, coloriés en violet, puis recouverts d’une couche de beau vernis. » C’était une bière de première classe. Nos lecteurs savent sans doute qu’en Chine il est d’usage d’acheter à l’avance son cercueil, et il faut être bien dénué de ressources pour ne point se procurer cette satisfaction.

En passant à Han-tchouan, nos missionnaires furent témoins d’une manifestation politique en l’honneur d’un mandarin militaire qui venait d’être destitué de son poste à la suite d’intrigues ourdies contre lui à Pékin. Le mandarin était à cheval, entouré d’un nombreux cortège et acclamé par une immense foule. Arrivé près de l’une des portes de la ville, il s’arrêta : deux vieillards lui retirèrent respectueusement ses bottes et lui mirent une paire de chaussures neuves. Les vieilles bottes furent ensuite suspendues sous la voûte de la porte, et le cortège reprit sa marche. « Cet usage singulier de déchausser un mandarin quand il quitte un pays est très répandu et remonte à une haute antiquité; c’est un moyen adopté par les Chinois pour protester contre l’injustice du gouvernement et témoigner leur reconnaissance au magistrat qui a exercé sa charge en père et mère du peuple. Dans presque toutes les villes de Chine, on aperçoit, aux voûtes des grandes portes d’entrée, de riches assortimens de vieilles bottes toutes poudreuses et tombant quelquefois de vétusté. C’est là une des gloires, un des ornemens les plus beaux de la cité. L’archéologie de ces antiques et honorables chaussures peut donner, d’une manière approximative, le nombre des bons mandarins qu’une contrée a eu le bonheur de posséder.» Telle est l’explication de M. Huc sur ce curieux incident de la paire de bottes. L’honorable missionnaire la tient d’un Chinois catholique qui l’accompagnait : il avoue qu’il eut d’abord beaucoup de peine à y croire, mais qu’il dut plus tard demeurer convaincu de l’exactitude du renseignement en voyant un grand nombre de portes ainsi armoriées. Il serait donc malséant de se montrer incrédule, et réellement ce serait dommage que l’explication ne fût point vraie. Il ne me reste qu’à regretter de n’avoir remarqué aucune paire de bottes suspendue aux portes des quelques villes chinoises que j’ai visitées, et je ne sache pas que jusqu’ici aucun voyageur ni même aucun missionnaire ait signalé cette étonnante coutume.

A peu de distance de Han-tchouan, MM. Huc et Gabet arrivèrent sur les bords du lac Ping-hou, magnifique nappe d’eau, où le génie industrieux des Chinois a semé un archipel factice d’îles flottantes qui excitent à bon droit la surprise et l’admiration des étrangers. Ces îles sont formées d’énormes radeaux en bois de bambou, et sur ces radeaux couverts d’une couche de terre végétale s’élèvent des