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nos contrées ment avec une facilité vraiment déplorable ! » L’audience terminée, le mandarin se retire tout joyeux ; mais les missionnaires, qui connaissent leur monde, ne le tiennent pas quitte : ils lui envoient immédiatement un petit billet indiquant le nom, l’âge, la profession des prisonniers, et lui déclarent qu’il a menti indignement, etc. Au bout de quelques instans, les trois chrétiens arrivent avec leur absolution complète, et le mandarin transmet piteusement ses humbles excuses.

Ainsi, partout où ils passaient, les deux voyageurs voyaient les autorités trembler devant eux, et cette fois ils avaient eu la satisfaction de pouvoir employer au profit de leurs coreligionnaires persécutés l’influence singulière qu’ils devaient, il faut bien le dire, à leur réputation de caractères intraitables. Les mandarins, d’ordinaire si insolens quand ils n’avaient devant eux que leurs dociles sujets, se sentaient subjugués par l’aplomb de ces étrangers qui chargeaient à fond sur leurs fourberies et leurs mensonges, et qui les poussaient sans miséricorde jusque dans leurs derniers retranchemens. Comment résister à de pareilles gens ? Ne s’avisent-ils pas d’exercer le droit de grâce et d’ouvrir aux criminels la porte des prisons, absolument comme s’ils étaient des vice-rois en tournée ? Il ne leur manque plus que de chasser les magistrats de leurs sièges, de s’emparer du tribunal, de citer les mandarins à leur barre et de prononcer des arrêts. Quoi de plus logique ? Et en effet, le lendemain même de la scène de Tchang-tcheou, nous allons assister à l’aventure la plus extraordinaire, la plus incroyable de tout le voyage.

C’était dans la petite ville de Leang-chan. Les chrétiens, assez nombreux dans cette ville et aux environs, accouraient avec empressement au palais communal, où les missionnaires, encouragés par leur triomphe de la veille, les affermissaient dans la foi et leur annonçaient un avenir meilleur. Témoins de ces visites et de ces entrevues assez suspectes, les mandarins ne disaient mot, mais ils n’en étaient pas plus satisfaits ; à la fin, l’un d’eux eut la malencontreuse idée de saisir dans la chambre des missionnaires un paquet et une lettre qui venaient de leur être apportés de la part d’un chrétien nommé Tchao. Le paquet contenait des fruits secs, et la lettre quelques phrases de complimens et d’adieux. L’acte du mandarin trop zélé constituait une véritable violation de domicile, fait très grave qui ne pouvait demeurer impuni ; en outre, Tchao venait d’être emprisonné sous la prévention de complot. « Il faut un jugement, s’écrient les missionnaires, et un jugement public, en notre présence ! — Calmez-vous, leur dit le préfet ; Tchao va être relâché, et il ne restera plus trace de l’affaire. — Non pas ! il faut un bon jugement, et nous ne quittons pas la place que l’arrêt n’ait été rendu. » Pour comprendre