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n’eussent pas contribué jusqu’à un certain point à ce facile abandon de mes plans monastiques. Ils faisaient sur moi un effet singulier, un effet mondain, si j’ose ainsi parler ; ils coloraient toutes choses à mes yeux d’une teinte rosée, qui, par contraste, faisait paraître la cellule d’un couvent si sombre, si désolée, si froide à mon imagination ! » D’autres visions ne tardèrent pas à succéder aux visions mystiques, — des visions plus sensuelles, fruits de ses lectures romanesques, et les Mille et une Nuits remplacèrent bientôt pour lui la Légende Dorée. Princesses captives, palais enchantés, jardins d’Armide, trésors cachés, diamans mystérieux, talismans, furent à leur tour pour lui des réalités ; il conversa avec des ombres, joua avec des chimères, et poursuivit de toute l’ardeur de ses jeunes désirs des vapeurs colorées, comme nous l’avons tous fait.

Cependant l’heure était venue de faire choix d’une profession. Lorenzo décida qu’il suivrait la carrière du barreau, et entra à l’université pour faire ses études de droit. Qu’était-ce alors qu’une université piémontaise ? L’insurrection sarde de 1821 venait d’éclater et avait été réprimée impitoyablement, et plus impitoyablement vengée encore. La jeunesse des universités s’était fait remarquer dans l’insurrection, surtout à Turin, où les étudians, secondés par une compagnie de soldats, avaient déterminé l’insurrection. Aussitôt que la révolte fut comprimée, le gouvernement ne se contenta pas de sévir contre les étudians qui y avaient pris part ; il résolut de les frapper en masse, et fit fermer les universités de Turin et de Gênes. Peu de temps après, on les reconstitua sur un nouveau modèle. Pour prévenir désormais l’introduction dans les universités de l’esprit de révolte, le gouvernement ne crut pouvoir mieux faire que de prendre des mesures qui semblaient devoir exclure forcément des études libérales de larges catégories de citoyens ; il crut pouvoir y arriver en créant deux classes d’étudians : ceux dont les parens pourraient prouver la possession d’une certaine étendue de propriétés foncières, et ceux dont les parens ne le pourraient pas. En outre, deux modes distincts d’examen furent créés pour chacune de ces deux catégories, «et le mode d’examen des étudians de la deuxième catégorie fut entouré, dit Lorenzo, d’une telle complication de difficultés, qu’on put espérer que les plus résolus n’oseraient affronter de telles épreuves. » Toutefois ces espérances furent trompées, et cet arbitraire absurde manqua son effet. Pendant la fermeture des universités, la masse des aspirans aux professions libérales s’était tellement augmentée, que, malgré toutes les mesures restrictives, les inscriptions ne furent jamais plus nombreuses. Les familles riches des classes moyennes avaient employé à acheter des propriétés foncières le capital qu’elles avaient laissé auparavant dans le commerce