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les premiers pas de ce long voyage à travers le Céleste-Empire, ces querelles de Chinois à propos de palanquins et de costumes, devaient servir merveilleusement les intérêts des missionnaires. Les mandarins surent tout de suite qu’ils avaient affaire à des gens qui n’aimaient pas à être contrariés et qui ne céderaient pas; puis la calotte jaune valait bien le combat qu’elle avait coûté. En voyant passer ces étrangers coiffés des couleurs impériales, les populations allaient naturellement les prendre pour des personnages très considérables, honorés d’une mission de l’empereur. Partout en effet les regards ébahis des Chinois s’arrêtèrent avec respect sur ces nobles bonnets dont la teinte jaune et les broderies inaccoutumées illuminaient en quelque sorte l’intérieur des palanquins.

La caravane est donc en route pour Tching-tou, capitale de la province de Sse-tchouen. Le mandarin qui l’avait commandée sur le territoire du Thibet devait la quitter à la frontière de la Chine; mais il fut obligé de continuer sa corvée jusqu’au chef-lieu de la province, aucun des mandarins de Ta-tsien-lou ne s’étant soucié de prendre sa place. L’escorte recrutée à Lhassa reçut un renfort de jeunes soldats conduits par un sous-officier qui cheminait à son aise, un parapluie d’une main et un éventail de l’autre. Quant aux palanquins, quatre porteurs, payés à raison de un sapèque par li ou un sou par lieue, les enlevèrent rapidement par les routes les plus difficiles, de sorte que bientôt l’escorte fut honteusement distancée. Il fallut cependant franchir une immense montagne, le Fei-yue-ling, dont les flancs escarpés et les précipices rappelaient à nos voyageurs les plus mauvais jours du Thibet; mais les palanquins se tirèrent avec honneur du mauvais pas, et après cette dernière épreuve la caravane arriva dans une région fertile, semée de riches vallons et de collines verdoyantes. C’était bien la Chine avec le charme de sa riante nature, embellie par le soleil du mois de juin. Les missionnaires reconnaissaient le tableau animé et pittoresque qui avait si souvent, dans le cours de leurs tournées apostoliques, égayé leurs yeux; ils retrouvaient les villages populeux, les hôtelleries, les pagodes au toit recourbé, les bosquets de bambous et de bananiers encadrant des bâtimens de fermes, partout l’image du travail, du mouvement, de cette animation régulière que l’on rencontre jusque dans les régions les plus reculées du Céleste-Empire. Enfin ils sentaient la Chine à l’odeur fortement musquée qui s’échappe du terroir, odeur singulière que je me souviens parfaitement, pour ma part, d’avoir aspirée dans cet étrange pays.

Rien n’est plus rude qu’un voyage en palanquin, surtout quand il faut, après une journée de balancemens et de soubresauts, passer la nuit dans une auberge chinoise. Or le mandarin de l’escorte se