Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le spectacle de cette fête rendrait la vigueur au vieillard perclus; on dirait que les danseurs sont frappés de vertige. Les femmes, étreintes d’une main puissante, se laissent emporter par le tourbillon. Plus on étudie ce tableau, et plus on admire la prodigieuse variété des épisodes. La jeunesse et l’âge mûr sont confondus dans une commune ivresse. S’il me fallait désigner dans l’œuvre de Rubens une composition qui se puisse comparer à la Kermesse, je nommerais les Démons précipités dans l’enfer par saint Michel. Ce dernier tableau en effet, qui se voit à Gand, dans la galerie de M. de Scamps, et qu’on appelle vulgairement la Grappe de raisin, est le seul qui révèle la même ardeur d’imagination. Il serait pourtant puéril d’établir un parallèle entre la Kermesse et la Grappe de raisin. La diversité des sujets ne permet pas d’y songer. Si je les rapproche, c’est uniquement parce qu’ils nous donnent, chacun à sa manière, le sentiment de l’infini : damnés et danseurs fourmillent, et l’œil le plus exercé ne saurait les compter.

Le paysage connu sous le nom de l’Arc-en-ciel nous étonne d’abord par sa profondeur ; nous embrassons du regard un espace immense. L’harmonie linéaire qui relie entre elles toutes les parties de ce tableau n’est pas un moindre sujet d’admiration. La forme élégante des arbres placés à la droite du spectateur, les mouvemens ondulés du terrain, la ténuité des fonds et la transparence du ciel seront l’éternel désespoir des paysagistes. Parmi les peintres qui ont consacré leur vie entière à ce genre unique, il n’y en a pas un qui soit allé plus loin. Les personnages et les animaux du premier plan sont distribués habilement, et reposent la vue. Il règne dans toute cette composition un calme, une sérénité qui reportent la pensée vers l’âge d’or. L’homme qui a pu concevoir la Kermesse et l’Arc-en-ciel, n’eût-il exécuté que ces deux tableaux, serait compté parmi les maîtres les plus savans. Que faut-il donc penser de la souplesse et de la fécondité de son génie, quand on passe en revue tous les sujets qu’il a traités, tous les épisodes de l’Ancien et du Nouveau Testament, de l’histoire ancienne et de l’histoire moderne, qui ont tour à tour exercé son imagination, et que son pinceau a su rendre avec un égal bonheur ?

Rubens, pour remplir de son nom l’Europe entière, avait formé dans son atelier une école de graveurs qui travaillaient sous ses yeux, qu’il dirigeait, qu’il animait de ses conseils. Parmi ces interprètes habiles et dévoués qui vulgarisaient sa pensée, il en est trois dont les noms sont associés à la gloire du maître : Paul Dupont, Bolswert et Vostermann. On retrouve dans leurs planches tout le génie de Rubens. Jamais peintre n’a trouvé de burin plus obéissant et plus fidèle. Paul Dupont, Bolswert et Vostermann ne songeaient pas