Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/230

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

modelé avec une rare élégance, n’a rien de théâtral. La tête s’incline sur la poitrine, le corps tout entier s’affaisse, et tous les membres sont raidis par la mort.

A ne consulter que la réalité, abstraction faite de toute doctrine, il faut bien reconnaître que Rubens, dans cette œuvre, s’est placé à côté des peintres les plus habiles. Quelle que soit la prédilection qui nous entraîne, que notre sympathie appartienne à Florence ou à Rome, à Venise, à Parme ou à Milan, nous sommes éblouis par la hardiesse des attitudes, par la science profonde qui éclate dans toutes les parties de ce tableau; mais ce n’est pas là le seul mérite qui le recommande. N’apercevoir dans la Descente de Croix que l’expression de la réalité, c’est ne pas la comprendre. Il y a dans cette composition quelque chose de plus qu’une exacte imitation de la forme humaine. La douleur de la Vierge est une douleur vraie, une douleur poignante. On peut discuter à loisir l’élégance de son ajustement, on ne pourra jamais nier avec bonne foi le caractère pathétique de la tête. La douleur de Madeleine, aussi vraie que la douleur de la Vierge, est empreinte d’un autre caractère; il y a dans la pécheresse convertie une tristesse passionnée. L’épaule qui reçoit le pied du Christ a soulevé des colères que j’ai peine à comprendre. Les puristes ont crié à la vulgarité. J’ai beau méditer cet étrange reproche, je n’arrive pas à deviner comment on pourrait le justifier. Je vois dans ce mouvement un trait de génie. La piété de Madeleine ne peut ressembler à la piété de Marie; sa douleur ne connaît pas encore la résignation. A genoux aux pieds du crucifié, les cheveux épars, elle s’indigne autant qu’elle s’afflige de la mort du Christ; il y a dans ses larmes presque autant de colère que de désolation. Elle veut toucher le corps du Christ : est-ce donc là un mouvement qui blesse le goût et révolte la piété ? N’en déplaise aux esprits chagrins, je n’y vois rien qui ressemble à une profanation. On accuse saint Jean, le disciple bien-aimé, de se poser devant le spectateur dans une attitude théâtrale : on oublie ou l’on feint d’oublier que son attitude s’explique et se justifie par l’action qu’il accomplit. Il ne se cambre pas pour étaler l’élégance de ses formes; il se renverse en arrière pour soutenir plus sûrement les jambes du Christ. Son regard, attaché sur la Vierge, exprime à la fois l’affliction et l’espérance. Il semble dire à la mère éplorée : « Votre fils n’est pas mort tout entier; résignez-vous, un jour il vous sera rendu.» Joseph d’Arimathie et Nicodème accomplissent leur pieux devoir avec une gravité qui révèle une foi profonde. Le cadavre qu’ils soutiennent dans leurs bras n’est pas pour eux un cadavre que la terre doive garder, une proie livrée à la corruption. Ils croient fermement à la résurrection du crucifié; leur maître n’est pas perdu sans retour.