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enthousiastes de : Dieu sauve la république ! Et la liberté fut fondée, mais pour un temps seulement, hélas ! car les choses de ce monde sont périssables. Il suffit d’une absence forcée de Lorenzo pour faire crouler la jeune république.

Cependant les années d’enfance touchaient à leur terme, et ce prologue de la vie, qui en est en même temps la parodie, conduisait Lorenzo à l’existence sérieuse, périlleuse, semée de douleurs.


II. — LES ANNÉES DE JEUNESSE ET LE CARBONARISME.

Au sortir du collège, Lorenzo alla continuer ses études au séminaire. Il était alors entré dans l’adolescence, et à l’instinct d’imitation qui lui avait fait copier les républiques grecque et romaine allait succéder un instinct plus noble, mais déjà plus dangereux, c’est-à-dire cet enthousiasme vague, indéfini, qui se porte indifféremment sur tous les objets à l’époque où l’expérience ne nous a pas encore enseigné l’existence des poisons et n’a pas éveillé en nous le sens critique et le discernement. Ce n’était plus des hommes de Plutarque et des récits de Tite-Live que se nourrissait sa jeune imagination, mais des histoires des saints et des martyrs, des spectacles ascétiques qu’il avait sous les yeux. Un soir qu’il se promenait à l’heure de l’Ave Maria, il entre dans une église appartenant à l’ordre des capucins ; là, à la lueur incertaine de quelques lampes tremblottantes, il contemple les novices agenouillés sur la pierre et chantant leurs psaumes. De temps à autre, un novice relevant la tête vers l’image du Sauveur découvre ses traits amaigris par le jeûne et la prière. Ce spectacle émeut profondément Lorenzo, qui prend pour une révélation une exaltation momentanée et une forte impression sensuelle. Une voix intérieure semblait lui dire : C’est là ce que tu cherches. Lorenzo sort de l’église tout brûlant de l’enthousiasme du martyre ; il rêve d’aller prêcher l’Évangile en Chine ou au Japon, et il découvre son projet à sa mère, qui le renvoie à l’oncle Jean.

Cet oncle Jean est un des personnages les plus curieux du livre, il est malheureux que l’auteur n’ait pas mis son caractère en pleine lumière et n’en ait fait qu’un comparse. L’oncle Jean est le type du véritable honnête homme tel qu’il peut exister aujourd’hui, bon, affectueux, indulgent, sans enthousiasme pour aucune cause, et refusant de prendre parti pour aucune, parce que dans la situation actuelle des choses il se rendrait infailliblement complice d’infamies et de lâchetés ou d’étourderies et de désastres. Il n’aime pas l’ancien régime et il le verrait tomber sans grands regrets, parce qu’il sent bien que tant qu’il ne sera pas renversé, le mal ne fera qu’empirer, et il ne voudrait pas le voir renverser, parce qu’il n’espère rien d’une