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de sa mère, il se trouvait en mesure d’acheter une maison dans une des plus belles rues de la ville. Il avait rapporté d’Italie des trésors précieux, dignes de faire envie aux plus riches amateurs : tableaux, statues, camées, pierres gravées. Il voulait loger tous ces trésors de façon à pouvoir en jouir librement. Aussi à peine était-il installé dans sa nouvelle demeure, qu’il prit le parti de la démolir pour la reconstruire à l’italienne, car, à l’exemple de tous les grands artistes de la renaissance, il ne séparait pas dans sa pensée les trois arts du dessin, et possédait des notions étendues en architecture. Il avait dessiné les plus beaux palais de Gênes, et ce travail important, publié après sa mort, prouve surabondamment qu’il en avait étudié avec soin toutes les dispositions. Les plans et les coupes de ces édifices, qui jouissent en Europe d’une si légitime renommée, avaient attiré son attention aussi bien que leur aspect pittoresque. Il conçut donc et dessina pour son usage une maison qui devait réunir une habitation élégante et commode, un musée et un atelier. Comme il jetait les fondations de sa nouvelle demeure, il franchit à son insu les limites d’un terrain qu’il avait acheté, et empiéta sur le domaine de la compagnie des arquebusiers, qui s’appelait la compagnie du Serment. Menacé d’un procès qu’il aurait sans doute perdu, il entra en composition par l’entremise de son ami Rockox, et prit l’engagement de peindre pour ses adversaires un tableau tiré de la vie de saint Christophe. C’est à cette menace de procès que nous devons la fameuse Descente de Croix, placée aujourd’hui dans la cathédrale d’Anvers. Comme la vie de saint Christophe ne lui offrait pas de grandes ressources, il eut recours aux études de sa première jeunesse pour tourner la difficulté. Interrogeant l’étymologie, il prit pour sujet principal le Christ descendu de la croix et porté par ses bourreaux, qui le détachent de l’instrument de son supplice, et peignit sur les volets la Vierge-Mère, qui l’a porté dans ses flancs, et saint Christophe, qui l’a porté sur ses épaules. C’était faire de l’étymologie une application large et capricieuse. Les philologues peuvent à bon droit sourire, la postérité ne songera pas à se plaindre.

Bientôt il sentit le besoin d’endormir ses regrets en prenant une compagne; il épousa une belle jeune fille, Isabelle Brandt, et trouva dans sa tendresse tout le bonheur qu’une femme peut donner. Isabelle aimait son mari d’un amour sincère, et les biographes modernes qui ont bien voulu comparer les dates n’ont pas eu de peine à réfuter les méchans propos d’Houbraken et de Weyermann. Il n’est pas vrai, comme ils font dit et comme on s’est plu à le répéter, qu’Isabelle ait été la maîtresse d’Antoine Van Dyck, et que Rubens, doublement jaloux du plus illustre de ses élèves comme mari et comme peintre, lui ait conseillé le voyage d’Italie pour se délivrer d’un amant et d’un