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l’orgueil que lui donne son rang et par l’importance que lui donne sa naissance ; mais trouvez moyen d’ébranler cet orgueil et de dissiper ce prestige qui l’environne : il perdra confiance en lui-même et reconnaîtra sans trop se faire prier son infériorité réelle. C’est là un fait qui s’est rencontré et qui se rencontre assez fréquemment dans le monde ; c’est aussi ce qui arriva. Défié par Lorenzo à un combat poétique en vers italiens, le prince ne trouve rien de mieux à faire que de copier sa composition dans un recueil quelconque : Lorenzo découvre la fraude, et du moment où le prince se sent humilié, du moment où sa conduite coupable a été dévoilée, un certain sentiment d’honneur que la naissance, à défaut d’intelligence, manque rarement de donner, lui fait comprendre la nécessité d’expier sa faute ; il devient le meilleur et le plus dévoué des amis ; il aidera désormais Lorenzo dans toutes ses entreprises, il l’aidera à renverser le tyran Anastase et à fonder une république sur le modèle romain ; plus tard il sera carbonaro avec lui, et prendra part à la formation de la société secrète de la Jeune-Italie. Tel qu’il nous est présenté par son ami Lorenzo, le prince est un assez bel échantillon de la noblesse de cœur que donne non pas la nature, mais la naissance et le titre acquis.

C’est entre le prince et Lorenzo qu’est concertée la chute du tyran Anastase. Qu’était ce tyran ? Une sorte de vaurien plus redoutable à ses camarades que jamais baron féodal ne le fut à ses vassaux ou aux marchands voyageant sur les grandes-routes, une espèce de Louis XI toujours suivi de deux acolytes aussi méchans que lui et qui étaient comme les grands prévôts et les exécuteurs des hautes œuvres de ce souverain arbitraire et pillard. Partout où il apercevait une friandise, un objet capable d’exciter sa rapacité, Anastase s’en emparait, levait des contributions sur les poches de ses camarades, fouillait les pupitres, décrétait des impôts. Un complot est ourdi. À un signal donné, toutes les voix s’écrient : À bas le tyran !… Anastase est renversé et appelle en vain à son aide ses deux acolytes, qui, désertant sa cause, s’unissent à ses ennemis. Alors Lorenzo comprend pour la première fois le caractère des foules et ce que c’est que la lâcheté humaine : une leçon dont il ne devait pas profiter plus tard !


« Anastase était assis à sa place, la tête penchée contre son pupitre et sanglotant ; mais son désespoir et ses larmes, loin d’éveiller la compassion dans les cœurs des révoltés, ne servirent qu’à donner naissance aux quolibets et aux jeux de mots les plus amers… De tous côtés partaient rumeurs, insultes, reproches sanglans. — Crie, monstre, toi qui as tant fait crier les autres. — Quelle pitié eus-tu pour moi le jour où tu m’as si cruellement fouetté ? — Où est le rire par lequel tu répondais aux cris de tes victimes ? — Oh ! mon bon ami, disait un autre, nous avons un petit compte à régler. Où est le canif que