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que nous avons hâte d’arriver, parce que ce court récit d’un voyage à Burgos, publié depuis sa mort sous le titre d’Un Pèlerinage au pays du Cid, offre, comme nous l’avons dit, une sorte de résumé de toutes les qualités de son esprit et de son cœur. Il y apparaît en effet tout entier avec cette élévation d’idées, cette vivacité d’imagination, ce coloris de style, ce mélange de gaieté, de finesse, de sérieux et d’onction qui fait qu’on rencontre tour à tour en lui un touriste amusé et amusant, un érudit consciencieux, un poète inspiré, un chrétien ému et émouvant. On a bien souvent, par exemple, décrit la mer; est-il beaucoup de nos grands coloristes, sans en excepter Chateaubriand lui-même, qui aient su rendre la poésie de la mer avec des couleurs plus belles que M. Ozanam dans ce tableau que nous empruntons à son Pèlerinage ? « La grandeur infinie de la mer ravit dès le premier aspect ; mais il faut la contempler longtemps pour apprendre qu’elle a aussi cette autre partie de la beauté qu’on appelle la grâce. Homère le savait bien, et c’est pourquoi, s’il donnait à l’Océan des dieux terribles et des monstres, il le peuplait en même temps de nymphes et de sirènes enchanteresses. J’ai vu le jour s’éteindre au fond du golfe de Gascogne, derrière les monts Cantabres, dont les lignes hardies se découpaient nettement sous un ciel très pur. Ces montagnes plongeaient leurs pieds dans une brume lumineuse et dorée qui flottait au-dessus des eaux. Les lames se succédaient azurées, vertes, quelquefois avec des teintes de lilas, de rose et de pourpre, et venaient mourir sur une plage de sable, ou caresser les rochers qui encaissent la plage. Le flot montait contre l’écueil et jetait sa blanche écume, où la lumière décomposée prenait toutes les couleurs de l’arc-en-ciel : les gerbes capricieuses jaillissaient avec toute l’élégance de ces eaux que l’art fait jouer dans les jardins des rois; mais ici, dans le domaine de Dieu, les jeux sont éternels. Chaque jour ils recommencent et varient chaque jour, selon la force des vents et la hauteur des marées….. David avait aussi admiré ce spectacle, et peut- être, du haut du Carmel, son regard embrassait-il les espaces mouvans de la Méditerranée, lorsqu’il s’écriait : Les soulèvemens de la mer sont admirables : Mirabiles elationes maris. »

A côté de cette page d’un ton si imposant, le voyageur nous décrira gaiement un jeu de paume dans le pays basque. Il nous montrera les anciens du village siégeant au banc des juges, sans oublier la fraîche retraite ménagée dans le mur qui garde la bouteille conseillère des cas difficiles. Plus loin, c’est l’attirail homérique d’une cuisine d’auberge à Burgos qui réjouit un Instant les yeux de ce malade à qui son estomac débile ne permet d’apprécier ce spectacle qu’au point de vue de l’art. Ailleurs, s’il s’agit de peindre les monumens et de raconter l’histoire de la capitale de la Vieille-Castille, l’érudit et le poète prennent alors le pas sur le touriste, et en quelques pages il déroule devant nos yeux toutes les splendeurs de Burgos. Lorsqu’il faut enfin quitter la patrie du Cid, le voyageur que la mort tient déjà sous sa main termine ses adieux par une poétique invocation à Notre-Dame de Burgos.

« Le moment est venu, dit-il, de prendre congé de ces beaux lieux que je ne reverrai plus, et auxquels je vais laisser suspendue une partie de mes affections et de mes regrets, comme j’en ai déjà laissé à tant de vieilles villes, de montagnes et de rivages. Il y a quelque part en Sicile des tronçons de colonnes ombragées d’un bouquet d’oliviers, à Rome un oratoire dans les