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péruvienne, le gouvernement de Lima, de son côté, a eu pour lui les tentatives de soulèvement qui n’ont cessé d’agiter la Bolivie, de telle sorte qu’en définitive la révolution reste le fait dominant de cette situation. On sait comment cette révolution est née au Pérou, Un homme considérable du pays, M. Domingo Elias, en donnait le premier signal l’an dernier par une lettre où il dénonçait les abus de l’administration financière du général Echenique. L’exil infligé dans cette circonstance à M. Elias ne faisait que le pousser à une résolution plus extrême, et bientôt il paraissait dans le nord du pays, à Tumbes, à la tête d’un soulèvement. Vaincue sur ce point, l’insurrection renaissait peu après à Ica, et ici elle prenait un caractère plus grave ; M. Elias n’était plus seul, on invoquait le nom du général Castilla, que l’insurrection nommait chef suprême de la république. Castilla était-il réellement étranger à ce mouvement ? La vérité est qu’il était en ce moment à parlementer avec le gouvernement, proposant au général Echenique d’aller par sa seule présence, sans forces militaires, apaiser l’insurrection ; il ajoutait, comme par manière d’avertissement, que la révolution menaçait de s’étendre, et qu’elle éclaterait à Arequipa. C’est ce qui ne manquait pas d’arriver. La ville d’Arequipa se prononçait, et bientôt le général Castilla, disparaissant de Lima, se trouvait à la tête de ce nouveau mouvement. L’accession d’un homme environné d’un assez grand prestige militaire et politique ne pouvait évidemment qu’aggraver la révolution. C’est à ce moment, en effet, qu’elle a pris de la consistance. D’autres généraux exilés du Pérou, le général San-Roman et le général Vivanco, sont accourus aussitôt, et leur présence n’était qu’une complication de plus, car aucun d’eux ne passait pour vouloir subordonner ses prétentions à celles de Castilla.

Cette révolution dure depuis six mois, et dans cet intervalle que s’est-il passé ? L’insurrection a gagné successivement plusieurs provinces ; le général Castilla a pu étendre ses opérations jusqu’à Cuzco, Ayaccucho, Junin. Rien de décisif cependant n’a été fait par les Insurgés. Le gouvernement, de son côté, menacé au nord et au sud, a envoyé sur tous les points des forces militaires ; mais il n’a pu encore triompher du mouvement, et il a même éprouvé des échecs sérieux. Le général Torrico, chargé d’aller combattre les insurgés du sud, se retirait bientôt précipitamment. Un bataillon, embarqué sur un navire de l’état, disparaissait tout entier dans le naufrage du bâtiment qui le portait. Le général Echenique a fini par aller se mettre lui-même à la tête de l’armée, et la rencontre qui aura lieu entre l’insurrection et le président décidera sans doute des destinées du Pérou. S’il y a quelque chose de triste, c’est de voir un homme tel que le général Castilla, dont la présidence a laissé les plus honorables souvenirs, ainsi jeté dans un mouvement révolutionnaire. Quelques reproches qu’ait pu mériter d’autre part l’administration du général Echenique, ce serait un service que le président actuel rendrait au Pérou, s’il faisait triompher en lui la légalité, ajournant à la prochaine élection les questions qui pourraient être alors tranchées régulièrement.

CH. DE MAZADE.