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Ce livre est donc un récit, et un récit fort bien fait, varié, plein de portraits, semé çà et là de pages éloquentes, amusant surtout, et c’est là son principal mérite. C’est un vrai plaisir que de voir, au milieu de ces pages écrites en langue anglaise, éclater la vie et le mouvement de l’Italie. Pas de longues conversations, pas de passions métaphysiques, pas de subtilités protestantes dans les sentimens amoureux, mais en revanche peu d’esprit pratique et peu de profondeur dans tous les passages traitant de la politique ; peu de fermeté de trait dans toutes les descriptions de la vie réelle, peu d’esprit d’analyse et d’observation morale. Une certaine veine comique tout italienne y court cependant ; la pantomime des personnages, leurs ridicules physiques et extérieurs, mais ceux-là seulement, y sont fort bien saisis et reproduits. Ce livre est, en un mot, tout le contraire de ce qu’il aurait été, s’il eût été écrit par un Anglais. Les caractères, les portraits, les incidens de la vie politique, y eussent été bien mieux saisis et racontés, toutes les relations de Lorenzo avec le chef révolutionnaire qu’il désigne sous le nom de Fantasio, y eussent tenu bien plus de place ; mais en revanche quels sentimens amoureux alambiqués, quel médiocre platonisme, quels scrupules de langage, quelles conversations entortillées nous aurions eus ! Ici ce sont au contraire tous les passages qui se rapportent à l’amour, au plaisir physique, à la sensualité, à la description extérieure des objets et des personnes, qui sont les plus éloquens et les plus naïfs. Ce livre est donc curieux en ce qu’il nous montre en même temps ce que le Latin a de supérieur au Saxon et ce que le Saxon a de supérieur au Latin.

La meilleure manière de faire comprendre ce livre est de l’analyser en y mêlant le moins possible nos idées personnelles, de le raconter d’une manière désintéressée et à la façon d’un secrétaire abrégeant un rapport. Il y aurait de la maladresse à mêler nos sentimens et nos impressions aux sentimens et aux impressions de l’auteur ; il y aurait du pédantisme à opposer nos opinions politiques à celles d’un homme qui avoue sincèrement que la voie où il entra n’était pas la meilleure, et qui fait assez clairement entendre que, s’il lui était donné de rétrograder dans la vie, les moyens qu’il a employés ne sont pas ceux qu’il choisirait.


I. — LES ANNÉES D’ENFANCE.

Lorenzo Benoni, issu d’une bonne famille de bourgeois de Gênes, au moment où s’ouvre le récit, n’est encore qu’un enfant, déclinant et conjuguant les substantifs et les verbes de la langue latine et servant la messe de son oncle le chanoine, qui habite dans une petite ville