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araignée. Il s’appelait Azor. Quand il marchait, c’était d’une façon si singulière, que son arrière-train arrivait toujours au but en même temps que son museau. Azor et Madeleine avaient la voix aussi criarde et chevrotante l’un que l’autre. Ils avaient évidemment été faits l’un pour l’autre, aussi Madeleine l’aimait-elle beaucoup, bien qu’elle réservât cependant encore une bonne partie de ses affections pour sa chèvre. La chèvre, Azor et Madeleine, tout cela ne faisait qu’un autrefois dans la réalité, d’où il résulte tout naturellement que cela ne fait qu’un aujourd’hui dans mon souvenir.

La salle de classe semblait avoir été formée de trois pièces contiguës qu’on avait réduites à une seule en supprimant les cloisons. Les murs en étaient si délabrés, qu’en maint endroit les pierres se montraient à nu, aussi tristes à voir que les genoux et les coudes d’un mendiant par les trous de sa défroque usée. L’estrade du maître d’école était appuyée contre la fenêtre du centre. le dos de sa chaise formait un petit buffet à deux portes dont la clé ne le quittait jamais. D’un côté de ce buffet pendait un fouet terminé par une gerbe de grosses ficelles à nœuds. Dans cette classe, il n’y avait de tables que pour les grands ; les petits restaient assis sur des bancs le long des murs, et étaient obligés d’apprendre leurs leçons sur leurs genoux. Aux rares instans d’étude, toute la salle bourdonnait comme une ruche d’abeilles, mais il suffisait aussi du moindre prétexte pour y faire éclater le plus affreux vacarme. Parfois un chaudronnier auvergnat, se trompant de porte, entrait brusquement avec tout son bagage d’entonnoirs, de cafetières et de soufflets sur le dos, en demandant imperturbablement a si on n’avait rien à raccommoder par là. » Le maître Pernet dans ce cas devenait furieux, car nos vociférations prenaient des proportions si violentes, qu’il était obligé de taper à tour de bras sur la table pendant dix minutes avec son manche de fouet, en pestant contre nous, avant de parvenir à rétablir le silence. L’apparition de Madeleine, en société d’Azor et de la chèvre, était toujours aussi pour nous une excellente aubaine en ce genre, d’autant mieux que le maître n’osait guère se fâcher devant sa femme. Les uns prenaient alors la chèvre par les cornes, par la barbe ou par la queue, pendant que d’autres agaçaient le chien. Il en résultait un tel tohu-bohu, que les deux époux étaient obligés de crier pour se comprendre.

Sans doute, il nous eût fallu rester bien longtemps à une académie pareille pour devenir de grands grecs. Toutefois, comme, sans trop me flatter, j’étais un des premiers de la classe, je me trouvai à dix ans savoir lire et écrire à peu près couramment. Aussi, quand il y avait quelque arpentage à faire dans la commune, était-ce toujours moi qui portais la chaîne.