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coup porté à ce teutonisme russe, qui se débat depuis si longtemps pour neutraliser tout acte décisif. La surprise et l’embarras où le dénoûment de cette négociation a jeté les partisans d’une politique plus favorable au tsar ou moins prononcée contre lui se seraient traduits, assure-t-on, par des incidens singuliers à Vienne. À la première réception de M. de Buol qui a suivi la signature du traité, plusieurs représentans d’états allemands, les envoyés de Prusse, de Saxe, de Bavière, de Wurtemberg, n’auraient pas paru. L’envoyé russe lui-même, le prince Gortchakof, n’a pu dissimuler la vivacité de son désappointement, et a laissé percer, dit-on, le sentiment de la situation impossible qui lui était faite. On aurait pu conclure de quelques-unes de ses paroles que son acceptation des quatre garanties antérieure au traité n’avait point un caractère bien sérieux et bien sincère au fond. Pour le moment donc, et en attendant qu’ils se soient rattachés à quelque tactique nouvelle, les partisans avoués ou déguisés de la Russie en Allemagne ont amèrement ressenti le coup ; ils y ont vu le signe visible de leur défaite. Parmi les esprits libéraux au contraire, l’impression, sans être moins profonde et moins forte, a été complètement favorable. Pour tous ces esprits, le traité du 2 décembre a été un point de ralliement au milieu des incertitudes de l’Allemagne, l’acte viril d’une politique décidée à garantir à la puissance germanique l’influence qui lui est due dans cette grande question. Les partis libéraux en Allemagne inclinent naturellement vers les puissances occidentales, comme les partis féodaux et absolutistes inclinent vers la Russie. Il s’est produit un fait remarquable, qui montre les tendances véritables de l’opinion allemande. Beaucoup d’hommes qui depuis longtemps s’étaient accoutumés à voir dans la Prusse l’âme, la tête et le bras de l’Allemagne, se tournent vers l’Autriche, qu’ils proclament aujourd’hui la seule puissance comprenant et servant avec intelligence les intérêts germaniques.

Si l’on observe la politique de l’Autriche dans ses actes récens, dans ses effets, dans les alliances qu’elle rencontre, dans les intérêts qu’elle satisfait, on peut y voir tous les caractères d’une politique prévoyante et libérale, qui marque sa place dans la coalition des forces occidentales contre la prépondérance menaçante de la Russie. Le traité du 2 décembre n’a pas seulement une portée extérieure, il a une signification tout intérieure pour l’Autriche : il est le signe manifeste du travail qui s’est accompli depuis 1848, qui a fait prévaloir d’autres tendances, d’autres hommes. C’est un esprit nouveau qui se fait jour et gagne lentement, qui s’atteste par des vues de gouvernement intérieur très différentes des traditions anciennes, et qui a aussi ses tendances, ses affinités dans la politique internationale. C’est cet esprit, se manifestant sous un double aspect, qui rallie aujourd’hui bien des sympathies. Ne serait-il point quelque peu puéril de chercher le secret de la politique de l’Autriche ailleurs que dans cette transformation, par exemple dans le dépit et l’amour-propre blessé de quelques-uns des conseillers de l’empereur François-Joseph, notamment d’un des hommes les plus éminens, M. Alexandre Bach, que l’empereur Nicolas aurait taxé légèrement de ministre sorti des barricades de 1848 ?

Mais la Prusse suivra-t-elle l’Autriche sur ce terrain nouveau, où l’a placée le traité du 2 décembre ? On n’a pu évidemment ignorer à Berlin les né-