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L’ÉPOPÉE NATIONALE


DES RUSSES


D’APRÈS LES TRAVAUX DES PHILOLOGUES ALLEMANDS.





On sait quel développement ont pris depuis un demi-siècle les études philologiques en Allemagne. L’ancienne poésie russe a eu sa part dans ce vaste mouvement de recherches, et la récente publication faite à Berlin d’un des textes les plus précieux pour l’étude de ses origines est un nouveau témoignage de l’intérêt avec lequel l’érudition germanique interroge et discute les monumens primitifs du génie slave. M. Boltz, professeur de langue russe à l’école militaire de Berlin, ne s’est pas borné, comme quelques autres savans, à traduire le Poème sur l’expédition d’Igor, ce remarquable document, cette espèce d’épopée russe dont la découverte, il y a cinquante ans à peine, fit une si grande sensation dans le monde slave. Il en a reproduit le texte original, imprimé avec beaucoup de soin en caractères cyrilliques, d’après les meilleures éditions russes, et il a joint à ce texte des notes, des commentaires pleins d’intérêt. Une grammaire raisonnée du dialecte russe dans lequel le Poème d’Igor est composé, un vocabulaire de tous les mots qu’on y rencontre avec leurs différentes acceptions, complètent ce petit traité de philologie slave, où le sujet, exposé sous toutes ses faces, est approfondi dans les moindres détails. Sans nous arrêter cependant à la partie essentiellement philologique du travail de M. Boltz, nous voudrions surtout donner ici une idée du poème pris en quelque sorte par le savant allemand pour texte de ses curieuses recherches : c’est la restitution d’un antique monument littéraire qui appelle sur la publication de M. Boltz un intérêt général, et qui la désigne particulièrement à l’attention du public français.

En 1795, un bibliographe fort estimé, M. Moussint-Pouchkine, découvrit le Poème d’Igor dans un manuscrit intitulé Chronographe, qu’il avait acheté à un moine du couvent de Space-Yaroslavski; il le présenta comme une