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par la gravure de Strange, qui, sans être d’une fidélité irréprochable, en reproduit cependant les principaux mérites. Or ces deux tableaux se recommandent surtout par la naïveté. La sainte famille connue sous le nom de Saint Jérôme est une composition dont la grâce n’a jamais été dépassée. On ne saurait imaginer une scène plus simplement conçue et rendue avec moins d’artifice. Et quand je parle ainsi, il est bien clair que j’entends parler de l’artifice apparent, car pour atteindre à cette simplicité, il ne s’agit pas de posséder la naïveté des temps primitifs : il s’agit de concilier les progrès de la science avec la simplicité de l’expression. Le Saint Jérôme et la Vierge à l’écuelle réalisent admirablement le programme que je viens d’indiquer. Dans ces deux compositions, on ne sait ce qu’il faut admirer le plus, de la science déployée par l’auteur dans la forme des corps, ou de la vérité des physionomies. L’ange qui présente au Christ les écrits de saint Jérôme est dessiné avec un rare bonheur. Le visage du Christ, tout à la fois souriant et sérieux, justifie dans une certaine mesure tout ce qu’il y a d’étrange dans cette présentation. Il est assez difficile en effet de concevoir saint Jérôme offrant ses écrits au Christ; mais il serait puéril de chicaner l’auteur sur cet anachronisme, car il pourrait invoquer l’exemple de ses plus célèbres contemporains.

Ce qu’il faut surtout admirer dans le Saint Jérôme, ce qui assigne à ce tableau un rang à part dans les œuvres du Corrège et dans l’histoire de la peinture, c’est la beauté du personnage principal, je veux dire de celui qui donne son nom au tableau. L’illustre docteur de l’église à qui nous devons la traduction latine des saintes Écritures nous offre dans le tableau du Corrège, je ne dirai pas seulement l’alliance de la vieillesse et de la majesté, ce que d’autres maîtres ont plus d’une fois réalisé, mais l’alliance de la vieillesse et de l’élégance. Cette sainte famille doit compter parmi les œuvres les plus savantes, les plus vraies et les plus naïves de la peinture, et une composition de cet ordre suffit pour classer l’homme qui l’a signée de son nom. Aussi tous les compatriotes du Corrège s’empressent-ils de la montrer aux étrangers comme un titre de gloire nationale. La poitrine et les membres de saint Jérôme sont rendus avec une vérité au-dessus de tout éloge. L’affaissement des chairs est exprimé franchement, mais sans pauvreté. C’est la nature acceptée sans hésitation, librement interprétée. Ce que je dis de ce tableau, je ne pourrais que le répéter à propos de la Verge à l’écuelle. Ici peut-être la naïveté est-elle poussée plus loin; l’expression du Christ est peut-être plus enfantine, le regard de la Vierge a peut-être plus de tendresse. Cependant je ne place pas la Vierge à l’écuelle au-dessus du Saint Jérôme, et je pense que les hommes du métier partagent mon avis. Ce qu’il y a de certain, c’est que le