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docteur, quoiqu’il représente une sainte famille, fut payé 80 sequins. Cette dénomination s’explique par la présence de saint Jérôme, qui offre ses écrits au Christ placé dans les bras de la Vierge. À ce tableau se rattache une anecdote assez singulière, dont je n’entends pas garantir la parfaite authenticité, mais racontée par des écrivains sérieux et dignes de foi. Donna Briseide Colla, veuve d’Orazio Bergonzi, qui avait commandé le Saint Jérôme, fut tellement satisfaite de cet ouvrage, qu’elle voulut faire un cadeau à l’auteur pour lui témoigner sa reconnaissance. Après avoir acquitté le prix convenu, elle lui envoya deux chariots de bois, quelques mesures de froment et un porc. C’est là sans doute une étrange manière d’encourager le génie, mais il ne paraît pas que le peintre se soit trouvé offensé de ce singulier cadeau. Comme le Saint Jérôme était destiné à l’église de Saint-Antoine, peut-être les beaux esprits du temps voyaient-ils dans le porc donné au Corrège par donna Briseide une allusion délicate.

La Naissance du Christ, qui se voit à Dresde, et connue dans toute l’Europe sous le nom de la Nuit, fut payée 47 sequins 1/2. Elle avait été commandée par Alberto Pratonero pour une chapelle de famille dans l’église de San-Prospero, de Reggio. Les historiens ne font mention d’aucun cadeau supplémentaire. Alberto Pratonero, après avoir compté 47 ducats 1/2, se crut quitte envers l’auteur.

Ainsi la Vierge au bas-relief, le Saint Jérôme et la Nuit ont valu au maître 227 sequins, 2,370 francs. Ces trois tableaux, sans posséder un mérite égal, représentent aujourd’hui une somme immense. S’ils étaient mis en vente, il est impossible de prévoir jusqu’où monteraient les enchères. Il ne faut pourtant pas croire qu’Antonio Allegri eût à se plaindre de donna Briseide et d’Alberto Pratonero. Lors même qu’il n’eût pas reçu de donna Briseide deux chariots de bois, quelques mesures de froment et un porc, il ne l’eût pas accusée de lésinerie. Remarquons en passant que les franciscains ont été plus généreux que les premiers acquéreurs du Saint Jérôme et de la Nuit; ils ont déboursé 100 sequins. Il faut croire qu’ils appréciaient plus justement le génie du Corrège. Leur clairvoyance n’étonnera pas ceux qui connaissent l’histoire de la peinture.

Le réfectoire du couvent de Saint-Paul est le premier travail qui doive nous occuper, non qu’il soit le début du Corrège dans la peinture à fresque, mais parce qu’il présente un ensemble de compositions où le génie du maître s’est librement déployé. Il avait fait ses premiers essais en ce genre dans sa ville natale. Avant le mémoire publié par le père Affo, on avait peine à s’expliquer le caractère païen de ce réfectoire; aujourd’hui l’énigme est résolue. Nous savons que l’abbesse de ce couvent n’était pas astreinte à la clôture, et, pour