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la peine d’étudier l’ensemble des œuvres du Corrège, il est évident qu’il doit beaucoup aux monumens de l’art antique. Je n’entends pas contester l’originalité de son génie, mais je pense qu’il a trouvé dans le passé un puissant auxiliaire.

Ni Lorenzo Allegri, ni Bartolotti, ni Bianchi, ne pouvaient lui enseigner la grâce et la majesté que nous admirons dans ses œuvres. Ces maîtres obscurs ne lui ont appris tout au plus que la partie matérielle de son art. C’est aux débris mutilés de la Grèce qu’il a demandé le secret de la beauté suprême. Pour comprendre tout ce qu’il doit à la statuaire antique, il suffit de regarder le réfectoire du couvent de Saint-Paul. Si la coupole de San-Giovanni se rattache par plus d’un point aux traditions de l’école attique, le souvenir de l’antiquité ne se révèle nulle part avec plus d’éclat que dans le réfectoire de Saint-Paul. Si le Corrège eût fait le voyage de Rome, il aurait trouvé des enseignemens plus nombreux et plus attrayans; la tâche qu’il a si glorieusement accomplie lui serait devenue plus facile; mais il n’est pas douteux que les plâtres de Francesco Mantegna et de Begarelli lui ont appris la meilleure partie des secrets que Rome lui eût révélés. L’insistance que je mets à établir les services rendus au Corrège par l’art antique étonnera peut-être plus d’un lecteur. Les gens du monde sont trop souvent disposés à confondre le style antique avec le style académique. Or une telle confusion est la négation même de la vérité. Le style académique n’est qu’une interprétation erronée de la tradition. Au nom de la tradition même, envisagée directement, la raison et le goût réprouvent le style académique, avec lequel Antonio Allegri n’a rien de commun. S’il consulte les monumens de l’art antique, il ne consulte pas moins souvent la nature. Quand il a vu comment les statuaires d’Athènes exprimaient la vie, il interroge la vie elle-même, et c’est à ce double conseil qu’il doit l’alliance de la grandeur et de la souplesse.

On a beaucoup parlé de la pauvreté d’Antonio Allegri. Une anecdote racontée par Vasari sur la foi d’une tradition populaire, et souvent répétée après lui par les historiens de la peinture, nous le montre expirant dans un accès de fièvre, exténué de fatigue, pour avoir rapporté sur ses épaules, de Correggio à Parme, une somme de soixante écus qui lui avait été payée en quattrini, c’est-à-dire en cuivre. Un poète danois, Œhlenschlæger, s’est emparé de cette anecdote et en a fait le sujet d’un drame émouvant. Aujourd’hui, grâce aux recherches de Tiraboschi et de Pungileoni, nous savons ce que vaut cette historiette. Aucun document ne vient à l’appui du récit de Vasari. Le voyage à pied de Parme à Correggio est une fable imaginée à plaisir, acceptée sans examen par la crédulité publique, et transmise d’âge en âge, mais qui ne résiste pas à l’analyse. Les