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foule d’écrivains de trouver à placer leur prose en fabriquant un livre qui n’aurait jamais été fait, ou de se faire un nom en publiant une brochure politique. Chacun saisit l’occasion aux cheveux, et des écrits éphémères sur la Russie, sur Schamyl, sur les Intérêts de l’Allemagne, etc., viennent encombrer le marché littéraire. Cette remarque ne s’applique pas d’ailleurs seulement à la France, et nous n’avons cette année à signaler aucun de ces livres si fréquens en Angleterre et même en Amérique, où, sous une forme populaire et romanesque, l’écrivain nous raconte ses explorations et ses découvertes au sein de la société, et touche aux questions morales qui nous intéressent et nous agitent le plus. Pas de Mary Barton, pas d’Alton Locke, pas d’Oncle Tom, pas de contes d’Hawthorne ! En Angleterre comme en France, les livres de circonstance ont la vogue et menacent de la garder longtemps.

Un des derniers livres qui ait eu le privilège d’exciter la curiosité des lecteurs anglais nous reporte aux idées et aux questions qui nous agitaient il y a quelques années à peine et qui reviendront encore nous agiter trop probablement, hélas ! Il n’est point écrit par une plume anglaise, il est l’œuvre d’un ancien révolutionnaire italien, d’un ex-membre de la Jeune-Italie, d’un ami de Mazzini, et renferme la confession des espérances et des déceptions d’un républicain désabusé. Cette lecture a été pour nous un véritable plaisir et comme un baume rafraîchissant. Quel bonheur d’échapper pour un moment à la politique du jour, de ne plus entendre parler du Pruth et du Sereth, de ne plus être obligé de s’intéresser aux destinées de la Turquie, mais de pouvoir être ému des douleurs d’une nation de même race que nous, os de nos os, chair de notre chair, et de rêver avec tristesse sur le sort d’un pays qui a produit les plus grands hommes des temps modernes, sur la patrie de Dante et de Michel-Ange, de Machiavel et de Galilée ! Avec quel plaisir nous nous sommes intéressé aux illusions et aux fautes de ces jeunes fous, écrivant, projetant, complotant, formant des sociétés secrètes, traçant des plans de constitution, chantant la république future et prophétisant à tue-tête le retour des jours de Saturne à cette terre des dieux, des poètes et des héros !

M. Ruffini, l’auteur du livre, écrit sans amertume et sans colère. Pas un mot de haine contre les gouvernemens qui l’ont persécuté ne tombe de sa plume. Une douce ironie brille au-dessus de toutes ces pages écrites avec une verve toute juvénile, et où le souvenir fait revivre avec tous leurs enchantemens les illusions des premières années ; — encore cette ironie modérée et contenue ne s’applique-t-elle jamais qu’à sa personne, à ses actes et à ses fautes. L’auteur, qui doit toucher maintenant au milieu de la vie, nous semble, si