Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/1179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

goût. Il reste dans le travail, tout pénible qu’il est d’abord, un peu de cette joie qui l’aurait accompagné dans le paradis terrestre.

Jusqu’ici je suis tout à fait de l’avis de Rousseau : le travail est bon à l’homme, l’effort est utile à l’esprit, et vouloir apprendre les choses sans y penser n’est qu’un moyen compliqué de rester ignorant ; mais je ne suis plus de l’avis de Rousseau, quand il prétend qu’il faut donner à l’enfant le désir du travail et ne jamais lui en imposer la nécessité. Rousseau oublie ici que le travail est un devoir. Il n’y a pas de mal assurément que le travail soit un goût, pourvu qu’il soit bien entendu que le travail n’a pas seulement le goût pour cause et pour principe. La distinction est importante : on n’est pas coupable de n’avoir pas tel ou tel goût, mais c’est une faute que d’admettre ou d’éluder un devoir, et voilà ce qu’il faut que l’enfant apprenne de bonne heure. L’apprentissage du devoir est une partie essentielle du travail et la partie qu’il faut le moins négliger dans l’éducation. Dites que le travail est utile, oui ! Dites qu’il est agréable, oui, j’y consens ! Mais dites surtout que le travail est obligé et qu’il est la loi imposée à tout le monde, car c’est la vérité fondamentale de la vie. Quand le travail en effet n’est pas une nécessité matérielle comme pour le grand nombre, il est une nécessité morale. Le riche doit travailler pour ne pas mourir des vices de l’oisiveté, comme le pauvre pour ne pas mourir de faim.

Je m’arrangerai, dit Rousseau, pour donner à mon élève le désir d’apprendre : qui vous dit que la paresse de l’élève ne sera pas plus ingénieuse encore pour désirer ne pas apprendre ? Si c’est une lutte d’habileté, je parie d’avance pour la paresse ; elle sera plus industrieuse à se défendre que le maître à la combattre. Voyez dans le conte de Voltaire, Jeannot et Colin, le programme de l’éducation du jeune marquis de la Jeannotière. — Point de latin, « car il est clair qu’on parle beaucoup mieux sa langue, quand on ne partage pas son application entre elle et des langues étrangères. » — Point de géographie : « à quoi cela servirait-il ? Quand M. le marquis ira dans ses terres, les postillons ne sauront-ils pas les chemins ? » — Point d’histoire : « toutes les histoires anciennes ne sont que des fables convenues, et pour les modernes, c’est un chaos qu’on ne peut débrouiller. » — Point de géométrie : « si M. le marquis a besoin d’un géomètre pour lever le plan de ses terres, il les fera arpenter pour son argent….. Enfin, après avoir examiné le fort et le faible des sciences, il fut décidé que M. le marquis apprendrait à danser. » Ne prenez pas cette scène charmante pour une comédie : c’est le tableau vif et piquant de la victoire de la paresse sur les désirs d’apprendre qu’on veut lui donner. Voici, dit un précepteur ingénieux, une bonne raison pour savoir. — Oui, mais voici, répond la