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et la sépulture de Robin Hood. L’imitation du Lyttle Geste est si frappante, les emprunts si évidens, que l’on peut prendre cette petite épopée pour le type primitif de ce genre plus noble et plus relevé. Les autres ballades de cette période dérivent presque toutes de celle du Potier; c’est toujours un combat au bâton avec un mendiant, un tanneur, un boucher, un chaudronnier, un berger, un colporteur, un porcher, un vagabond. Toujours Robin Hood est vaincu, et toujours il fait du vainqueur une nouvelle recrue pour sa troupe. L’imitation de la ballade du Potier est trop manifeste pour qu’il soit nécessaire d’insister; celle-ci est à son tour le type primitif du genre trivial et populaire dans le cycle de Robin Hood.

Quels que soient les changemens apportés au personnage de Robin Hood dans ces deux classes de ballades, les traits originels subsistent; le franc-archer est toujours un yeoman vivant de braconnage, faisant bonne guerre aux seigneurs, aux évêques et aux moines, jouant des tours au shériff, protecteur des petits et des pauvres, gai compagnon, ami de la joie et du plaisir, mais du plaisir innocent de la chasse et de la liberté. Quand les ressources d’un fonds si simple et si borné furent épuisées, on se jeta hors des voies battues; les altérations poétiques devinrent considérables. Robin Hood devint un héros de roman : c’est l’Ecosse, le pays aux ballades dramatiques et romanesques, qui donna peut-être le premier exemple de faire de Robin Hood un fils de seigneur, de lui prêter des amours et des aventures galantes. Tantôt c’est un Willie de haute naissance qui a séduit la fille unique du comte Richard; celle-ci fuit la maison de son père, et donne le jour à un enfant qui s’appelle Robin Hood, à cause du bois où il est né, Robin o’ th’ wood; tantôt c’est une fille du roi, maltraitée par sa belle-mère, qui s’habille en homme, et va rejoindre Robin Hood pour devenir son épouse; tantôt enfin c’est une fille du célèbre Jack Cade qui inspire à Robin Hood une amoureuse passion. Ailleurs Robin Hood rencontre la fille d’un tanneur; il lui déclare son amour, et la défend contre ses deux frères, qu’il met à mort l’un après l’autre.

On peut dire de Robin Hood, comme de Roland, que c’était un héros sans amour. Le Robin Hood poétique était purement et simplement le type de l’archer et du braconnier; le Roland de la chevalerie était le modèle des guerriers chrétiens; ni l’un ni l’autre ne songeaient aux femmes. La plus grave altération qu’ait subie le caractère de Roland, c’est l’amour. Boiardo annonça le changement complet qu’il y avait fait, quand il intitula son poème Orlando innamorato. Il en est de même de Robin Hood. Les vieux ménestrels en avaient fait un Hippolyte à leur manière, n’aimant qu’une femme, la vierge Marie, et cet amour n’est pas le trait le moins poétique, ni le moins touchant de ce personnage. Les poètes du XVIe siècle n’ont pas plus respecté la chasteté du héros des forêts que celle du neveu de Charlemagne. Parmi les amours de Robin Hood, le plus célèbre et le plus populaire est assurément celui de Marian. Il serait malaisé de déterminer nettement l’origine de cette invention d’une jeune fille qui aime Robin Hood, qui se déguise en archer, et combat, nouvelle Clorinde, contre son amant; blessée par lui, elle est reconnue, et suit l’outlaw dans sa forêt. Il n’y a qu’une ballade sur ce sujet, et elle est du XVIIe siècle. Cette Marianne est un des personnages principaux des jeux de mai, may-games; Robin figurait aussi dans ces jeux