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sainte Vierge, et qui respectait les femmes au point d’épargner toute compagnie où il s’en trouvait une. C’est la première fois qu’on voit une femme dans les ballades de Robin Hood. Il faut bien remarquer aussi que Robin Hood est battu toutes les fois qu’il s’adresse à des hommes du peuple. Contre des lords, contre des évêques, contre le roi lui-même, il fait merveilles, il met en fuite les archers et les chevaliers ; mais rencontre-t-il un potier, un boucher, un colporteur, un mendiant, un vagabond, il est régulièrement mis hors de combat ; on lui fend la tête d’un coup de bâton, il s’évanouit ; il faut que Little John et les autres viennent à son secours. Nous ne pouvons donner une meilleure preuve du sens démocratique de ces ballades ; elles commencent par être une glorification des classes guerrières du peuple, de la yeomanry. C’est une intarissable épopée en l’honneur de l’arc, cette arme d’honneur de la chevalerie populaire. La yeomanry a désormais une poésie qui lui appartient ; elle a ses chansons de geste. Cependant l’esprit démocratique de cette poésie arrive bien vite à ses dernières conséquences : loin de conserver le peu d’idéal dont elle avait d’abord entouré le nom de Robin Hood, elle le fait descendre bien vite aux trivialités. Elle veut qu’il se mesure avec des bouchers et des chaudronniers, qu’il rejette son bouclier traditionnel et son épée pour combattre avec le bâton. Non-seulement elle veut qu’il déroge, mais il faut qu’il soit battu pour le plus grand honneur des gens du peuple, et peut-être aussi des corps de métiers. Les diverses nations de l’Europe avaient leur rôle dans les grands cycles de Charlemagne et du roi Arthur ; les corps de métiers avaient ainsi le leur dans le petit cycle de Robin Hood. Les ménestrels populaires avaient des chansons pour tous, depuis les potiers de Nottingham jusqu’aux valets de ferme de Wakefield, et le héros de ces chansons était toujours quelque valet de ferme ou quelque potier, qui donnait une leçon à Robin Hood et qui lui tendait ensuite la main pour devenir son associé. N’y a-t-il pas aussi dans les vieux poèmes des chevaliers qui n’admettent des compagnons dans leur ordre qu’après s’être mesurés avec eux ?

Ce personnage de Robin Hood, tout joyeux et tout populaire qu’il était dès le principe, est désormais représenté de deux manières différentes, et fournit matière à deux classes de ballades fort distinctes. Les unes conservent des traces fidèles de la conception primitive du franc-archer ; l’idéal de l’outlaw préférant la liberté périlleuse à une paisible servitude, la poésie du héros des forêts, tout ce qui fait le charme de cette création originale de Robin Hood, respire encore dans ces chants. Les autres se rapprochent de plus en plus de la réalité vulgaire ; le franc-archer n’est plus qu’un voleur de grand chemin d’assez bonne composition et de joyeux caractère, qui se bat avec le premier venu, et payant à boire quand il a trouvé son maître. Les premières rappellent toutes par quelque côté le Lyttle Geste ; les secondes sont plus ou moins des imitations de la ballade de Robin Hood et le Potier.

Telles sont la plupart des ballades de la fin du XVe et de tout le XVIe siècle. Les unes sont une peinture poétique et un peu idéale du franc-archer. C’est Robin Hood sauvant de la mort les trois enfans d’une veuve sur la place publique de Nottingham, rançonnant un évêque, gagnant un prix au jeu de l’arc malgré le shériff, faisant asseoir à sa table le roi Richard Cœur-de-Lion déguisé en moine, mettant en déroute les officiers du roi ; c’est enfin la mort