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générale dès le XVIe ou le XVIIe siècle. Plus rapprochés de l’époque de la conquête, il est impossible de dire combien de temps ils firent peut-être aux officiers du roi une guerre plus sérieuse et plus hardie. S’il en faut croire la ballade dont nous venons de parler, ils osaient engager des luttes jusque dans les villes; ils avaient des maisons dans lesquelles ils soutenaient des sièges en règle. Fatigués de la résistance, ils venaient un jour trouver le roi, librement, hardiment, sans demander ni sûreté, ni audience. Ces outlaws ont quelque chose de plus rude, de plus rebelle, de plus menaçant; ils vivaient d’ailleurs sous un ciel plus nuageux; la nature y est plus austère et plus triste. Cette couleur plus sombre du paysage, jointe au caractère plus guerrier, plus sévère de ces proscrits du nord, semble se refléter dans la petite épopée. Le poète ne parle guère de plaisirs et de joie; il ne décrit ni le printemps, ni les doux rayons du soleil, ni les doux chants des oiseaux; toute sa poésie est dans le cœur et dans le sentiment de la liberté.

Si nous avions des preuves suffisantes de la priorité de ces outlaws du nord sur Robin Hood, si ce poème de Cloudesly portait des marques d’une antiquité plus reculée, nous pourrions facilement nous imaginer que ces francs-archers représentent les vieux Saxons indociles; ces trois outlaws formeraient comme la transition entre les Saxons et Robin Hood. Beaucoup de traits tirés du poème tendraient à nous le persuader : les sentimens y sont plus sérieux, les passions plus fortes, les combats y sont acharnés, les outlaws sont fiers et menaçans; mais nous avouons que cette hypothèse n’est pas assez fondée. Là où nous voyons une différence d’époque et de temps, il pourrait bien se faire que tout s’expliquât par la différence des lieux. Robin Hood a moins de noblesse que Cloudesly et ses compagnons, mais il a plus d’esprit et de grâce. Robin Hood, au début, résume donc la joyeuse Angleterre du moyen âge, l’Angleterre démocratique non encore affranchie, puisant la liberté dans sa joie, et sa joie dans une souplesse de génie qui lui est particulière.


III.

Dès le XVe siècle commencent les altérations du caractère poétique de Robin Hood. Les uns conservent au héros des forêts le ton guerrier du Lyttle Geste; c’est toujours un modèle de bravoure, il sort vainqueur de tous les combats qu’il a livrés. Les autres le font de plus en plus vulgaire; il est souvent battu, bâtonné en particulier, quand il a osé se mesurer contre un homme du peuple. Ses exploits ne sont plus que ceux de la ruse et de l’artifice. Les modèles de ces deux genres sont les deux ballades les plus connues du XVe siècle sur Robin Hood; la première a pour titre Robin Hood et Guy de Glsborne, et la seconde, Robin Hood et le Potier.

De la première, quoique fort remarquable, nous ne voulons tirer qu’un trait assez frappant. Robin Hood, après un combat qui dure « tout un long jour d’été, » triomphe, grâce à la vierge Marie, d’un yeoman aposté contre lui par le shériff de Nottingham. Après avoir vaincu Guy de Gisborne, il lui coupe la tête et la plante à l’extrémité de son arc.

« Robin tira un couteau d’Irlande et fit des entailles dans la figure de sir