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Ce Little John se prend quelquefois de dispute avec son maître. Quand ils tirent de l’arc, le maître ne veut pas être battu, il n’aime pas à payer l’enjeu, et Little John lui reproche durement sa mauvaise foi; mais leurs querelles ne sont pas longues, et il suffit que Robin Hood coure quelque danger pour voir arriver son fidèle Little John.

Robin Hood demeure vingt-deux ans encore dans la forêt. Au bout de ce temps, il succombe par trahison. Il avait quitté ses amis en leur disant : « Demain je vais à l’abbaye de Kyrkestey pour me faire saigner. » Il n’en revient pas. La prieure, sa parente, et un chevalier Roger de Doncaster, que le poète accuse d’être l’amant-de la prieure, le font disparaître.

« Jésus-Christ aie pitié de son âme ! s’écrie le ménestrel, Jésus-Christ mort sur la croix ! car il fut un brave outlaw, et fit beaucoup de bien aux pauvres gens. »

Tel est le personnage de Robin Hood dans les deux poèmes les plus anciens de ce cycle. Les traits principaux de sa figure resteront désormais comme ils sont sortis de l’imagination des plus anciens poètes, car la poésie a ses traditions comme l’histoire. Sans revenir sur tous les linéamens que nous avons tracés d’après ces ballades presque primitives, nous pouvons dire que Robin Hood n’a pas ici cet air triste et menaçant qu’on lui supposerait en le prenant pour un Saxon rebelle, ou même pour un Anglais de Simon de Montfort, héritier sans le savoir des griefs des Saxons ses ancêtres. C’est un type populaire et démocratique; s’il a perdu du côté de la noblesse et de la fierté, il a gagné beaucoup en grâce, en esprit, en originalité. Il plaît par où plaît la faiblesse luttant contre la force dans un combat de ruses et de surprises. Il est joyeux et content dans la conscience de sa liberté; il ne murmure pas contre la loi qui le proscrit; il n’a pas de maisons; il n’aime pas les villes; il aime la forêt comme une patrie, au lieu de la détester comme un exil. D’ailleurs sa forêt est riante; un printemps éternel l’habite; les feuilles y sont toujours vertes et forment toujours une tente au-dessus de sa tête, pour cacher sa retraite et protéger son sommeil. Les ballades de Robin Hood commencent le plus souvent par la description d’une belle matinée de mai; ses batailles se livrent toujours par un beau jour d’été; c’est à la Saint-Jean qu’il fait ses campagnes. En un mot, ces ballades, qui faisaient rêver au peuple une liberté sans limites, sont toujours pleines de soleil, de lumière et de joie. C’est la fête de la nature et de la poésie. Que dirai-je ? le mot même qui sert à désigner cette poésie, le mot mirth, signifie joie. «Voulez-vous un chapitre de joie ? » disait le ménestrel, et il chantait et on lui donnait un groat (un liard) pour son chapitre de joie. Ce caractère joyeux et franc des ballades de Robin Hood est bien remarquable; rarement il verse le sang, à moins que ce ne soit celui du shériff qui veut sa mort, ou du moine qui le trahit.

Dans le cycle poétique de ces francs-archers, on peut distinguer deux époques et deux espèces de héros. Trois bannis choisirent, dans un temps reculé, les forêts du nord pour retraite. Ces hommes, dont l’histoire ne parle pas, mais dont le souvenir s’est conservé dans les proverbes et dans une ballade célèbre, sont Adam Bell, William de Cloudesly et Clym of the Clough. Ces bannis précédèrent sans doute Robin Hood; c’était du moins l’opinion