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introduire une réforme digne de ce nom ? Quelquefois je crains que ce dernier moyen ne l’emporte, tant la corruption de l’église et de la société me semble profonde. »

Ces doutes sur l’avenir religieux de l’ancien monde ne se dissipèrent jamais pour lui. Il comprit que son christianisme libéral et sans tradition était bon pour une terre jeune, où se fonde un autre plan de l’humanité, mais serait inapplicable à nos vieilles civilisations, où tout le monde est antiquaire à sa guise. Il resta fidèle à l’Amérique. Là, en effet, ses idées nous semblent avoir un immense avenir. Les États-Unis sont peut-être destinés à réaliser pour la première fois aux yeux du monde une religion éclairée, purement individuelle, faisant d’honnêtes gens, et tout à fait exempte de prétentions métaphysiques. Le nom de Channing s’attachera sans doute à cette fondation, non comme celui d’un chef de secte (il aurait été le premier à repousser cet honneur), mais comme celui d’un des hommes en qui l’esprit nouveau arriva d’abord à une complète et attrayante expression.

Si le problème du monde devait être résolu par la droiture du cœur, la simplicité, la modération de l’esprit, Channing l’aurait résolu ; mais d’autres dons sont pour cela nécessaires, et Channing, qui les reçut peut-être de la nature autant que la nature les donne, ne se trouva pas dans le milieu intellectuel qui les développe et les fait fructifier. Disons tout d’abord que rien ne vaut l’honnêteté, la bonté, la piété véritable, ces dons essentiels des belles âmes. « Lorsque Dieu forma le cœur de l’homme, il y mit premièrement la bonté, comme le propre caractère de la nature divine, et pour être comme la marque de cette main bienfaisante dont nous sortons[1]. » La bonté ne suffit pas cependant pour résoudre le problème des choses. Sa part est assez belle : consoler cette vie, mais non en révéler le secret. Ceci appartient à la science et au génie. Savoir l’hébreu ou savoir le sanscrit est aussi nécessaire pour cela que d’avoir le cœur simple et l’âme honnête. Un monde sans science et sans génie est aussi incomplet qu’un monde sans bonté. Channing ne comprit guère que la seconde condition, et cette fois pécha encore pour avoir entrevu le monde comme beaucoup plus simple qu’il ne l’est en réalité.

A Dieu ne plaise que je veuille décourager les nobles esprits qui, justement frappés de l’imperfection de notre état religieux, en désirent la réforme et appellent de leurs vœux un culte mieux approprié à leurs besoins ! Quand leurs efforts n’aboutiraient qu’à améliorer et consoler quelques âmes d’élite, ne seraient-ils pas assez récompensés ? Mais je n’ose espérer pour eux d’action étendue et

  1. Bossuet.