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mort! Ce jeu singulier ressemble assez au jeu d’Edouard et de Robin Hood. Ne devait-on pas battre des mains à ces épisodes, qui mettaient sa grâce le roi d’Angleterre de niveau avec les héros du coup de poing ?

Robin Hood passe quinze mois à la cour; mais comme il aime à se faire honneur, il paie à chaque instant pour les chevaliers, pour les écuyers, pour tout le monde. Il dépense son bien et celui de ses hommes. L’ennui le prend. S’il voit des archers tirer de l’arc, il pousse des gémissemens; il regrette sa forêt et la liberté :

« Monseigneur le roi d’Angleterre, accordez-moi ma demande.

« J’ai bâti une chapelle dans Barnsdale, une chapelle fort agréable à voir; elle est consacrée à sainte Marie Magdeleine, et j’y voudrais aller.

« Voilà sept nuits que je ne puis ni dormir ni fermer l’œil, voilà sept jours que je ne puis ni manger ni boire.

« Je suis fort chagrin de n’y pouvoir plus aller; j’ai fait vœu de m’y rendre nu-pieds et en chemise de laine.

« — S’il en est ainsi, dit notre roi, je ne puis l’empêcher. Je te donne un congé d’une semaine, pas davantage. »

Robin Hood retourne à ses bois de Barnesdale; il y retrouve ses compagnons, qui méritent bien quelque attention. Ce sont de braves archers appelés Reynold, Little Mutch, Scathelock, Gilbert aux blanches mains; mais le plus brave et le plus habile de tous, c’est Little John (Petit-Jean), nom ironique, car c’est un géant. Little John est celui qui dresse le mieux les pièges au shériff. Un jour il entre dans sa maison comme archer; on devine que c’est pour lui jouer quelque tour : il lui vole son argenterie et lui débauche son cuisinier. Argenterie et cuisinier passent au service de Robin Hood. Le shériff lui-même est amené dans un guet-apens, et n’en réchappe qu’à force de grands sermens de respecter les outlaws. Ce Little John est visiblement destiné à faire rire les assistans. C’est un joyeux camarade; il aime à dîner.

« il arriva un mercredi que le shériff était à la chasse, et Little John était dans son lit : on l’avait oublié à la maison.

« il était donc à jeun que l’heure de midi était déjà passée. — Messire maître d’hôtel, je t’en prie, donne-moi à dîner, dit Little John.

« C’est trop long pour moi de jeûner jusqu’à cette heure...

« — Tu n’auras ni à manger ni à boire, dit le maître d’hôtel, tant que monseigneur ne sera pas rentré en ville. — Je jure Dieu, dit Little John, que je te casserais plutôt la tête !

« Le bouteiller était fort peu courtois. Il se trouvait alors assis par terre; il saute à la porte du cellier et la ferme à double tour.

« Little John donna un tel coup au bouteiller, qu’il lui fendit presque les reins en deux; quand il eût vécu cent ans, il en eût boité le reste de sa vie.

« Little John enfonça la porte du pied, entra dans le cellier, et fît main basse sur l’aie et sur le vin...

« Little John mangea, Little John but, tant qu’il lui fit plaisir... »

Au reste, on dîne souvent dans les ballades de Robin Hood : sur cette fonction de la vie, ces vieux chants des Anglais ressemblent beaucoup à leurs romans modernes.