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pur, mais sans poésie, si ce n’est d’une poésie toute domestique et privée. Loin de nous ces paradoxes d’esprits incomplets qui, parce qu’ils ont compris la beauté du passé, voudraient reconstruire un monde évanoui avec des regrets d’archéologues, comme si la première condition de l’admiration sérieuse n’était pas d’envisager chaque chose dans son milieu naturel, c’est-à-dire dans son époque. Les éblouissantes fantaisies des religions anciennes ne seraient de nos jours que chimériques. On ne refait pas un rêve par la réflexion et la volonté, et on ne saurait sans injustice reprocher aux hommes modernes de n’avoir pas les qualités dont l’homme des époques naïves était redevable à son ignorance et à sa simplicité. Il ne serait pas moins injuste de reprocher à Channing la pauvreté de sa théologie, puisque cette humilité même est une condition pour être raisonnable. Sa théologie est au fond tout ce que peut être la théologie au XIXe siècle et en Amérique, — Plate, simple, honnête, pratique; une théologie à la Franklin, sans grande portée métaphysique ni visées transcendentales. Ceux qui apprécient une religion par sa simplicité et son degré de transparence doivent être enchantés de celle-ci. Il est certain que si l’esprit moderne a raison de vouloir une religion qui, sans exclure le surnaturel, en diminue la dose autant que possible, la religion de Channing est la plus parfaite et la plus épurée qui ait paru jusqu’ici.

Mais est-ce là tout, en vérité, et quand le symbole sera réduit à croire à Dieu et au Christ, qu’y aura-t-on gagné ? Le scepticisme se tiendra-t-il pour satisfait ? La formule de l’univers en sera-t-elle plus complète et plus claire ? la destinée de l’homme et de l’humanité moins impénétrable ? Avec son symbole épuré, Channing évite-t-il mieux que les théologiens catholiques les objections de l’incrédulité ? Hélas! non. Il admet la résurrection de Jésus-Christ et n’admet pas sa divinité; il admet la Bible et n’admet pas l’enfer. Il déploie toutes les subtilités d’un scolastique pour établir contre les trinitaires en quel sens le Christ est fils de Dieu et en quel sens il ne l’est pas. Or si l’on accorde qu’il y a eu une existence réelle et miraculeuse d’un bout à l’autre, pourquoi ne pas franchement l’appeler divine ? L’un ne demande pas un plus grand effort de croyance que l’autre. En vérité, dans cette voie il n’y a que le premier pas qui coûte ; il ne faut pas marchander avec le surnaturel; la foi va d’une seule pièce, et, le sacrifice accompli, il ne sied pas de réclamer en détail les droits dont on a fait une fois pour toutes l’entière cession.

Là serait, à mon sens, le côté étroit et contradictoire de Channing. Qu’est-ce qu’un rationaliste qui admet des miracles, des prophéties, une révélation ? A quoi sert-il de me dire que cette révélation doit être jugée par la raison, et qu’en cas de conflit la raison