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personne sous mon toit, excepté aux heures des leçons que je donnais; là je travaillai comme je ne l’ai jamais fait depuis. N’ayant pas un être humain à qui je pusse communiquer mes pensées et fuyant les sociétés ordinaires, je passai par des combats intellectuels et moraux, par des émotions de cœur et d’esprit assez vifs et assez absorbans pour m’enlever le sommeil et pour altérer sensiblement ma constitution. J’étais réduit presque à l’état de squelette; cependant, c’est avec bonheur que je me rappelle ces jours d’isolement et de tristesse. Si jamais j’ai aspiré de toute mon âme vers la pureté et la vérité, c’est bien alors. Au milieu de rudes combats, se posa au dedans de moi cette grande question : Obéirai-je aux principes les plus élevés ou les plus humbles de ma nature ? serai-je la victime des passions du monde ou l’enfant et le serviteur de Dieu ? Je me souviens que ce grand conflit se passait en moi sans qu’aucune des personnes qui m’entouraient pût même soupçonner ce que j’éprouvais. »

Ses réflexions sur la religion l’amenèrent de très bonne heure à un profond mécontentement de l’église établie et à une forte antipathie contre les dogmes absolus et terribles du calvinisme. Sa mauvaise humeur contre cette vulgaire et effroyable théologie, ainsi qu’il l’appelle, éclate à chaque page de ses écrits. Toute sa théologie se résuma dès lors en un mot ; « Dieu est bon. » La manière sévère d’envisager la religion, qu’on regarde comme favorable à la piété, lui semblait un rigorisme cruel qui étend une morne obscurité sur Dieu, sur la vie présente, sur la vie future, et conduit fatalement par la tristesse aux superstitions du paganisme. « La théologie anglaise, écrivait-il vers 1801, me semble, en somme, de bien peu de valeur. Une église établie me parait le tombeau de l’intelligence. Imposer une croyance fixe, invariable, c’est élever les murs d’une prison autour de l’âme... La timidité, la froideur et la pesanteur qui distinguent généralement tous les livres de théologie doivent être attribuées principalement à la cause dont nous parlons. » Et quelques années après : « Je sais que le calvinisme est embrassé par beaucoup d’hommes excellens; mais je sais aussi que sur quelques cœurs il a les plus tristes effets, qu’il étend sur eux d’impénétrables ténèbres, qu’il donne naissance à un esprit de servitude et de crainte, qu’il refroidit les meilleures affections, qu’il arrête les plus vertueux efforts, qu’il ébranle quelquefois le siège de la raison. Sur les esprits impressionnables, l’influence de ce système est toujours à redouter. Si on y croyait, on y trouverait les motifs d’un découragement qui irait jusqu’à la démence. Si moi et tous mes amis bien-aimés et toute ma race nous sommes sortis des mains du Créateur totalement dépravés, irrésistiblement entraînés vers le mai et détestant le bien; si une partie seule du genre humain peut se