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de sympathies et de précoces admirations, a été sans contredit le représentant le plus complet de cette tentative tout américaine de religion sans mystères, de rationalisme sans critique, de culture intellectuelle sans haute poésie, qui semble l’idéal auquel aspire la religion des États-Unis. S’il n’est pas le fondateur, Channing est vraiment le saint des unitaires. Les bruits qui nous arrivent d’Amérique nous montrent l’opinion de sa sainteté grandissant de jour en jour et confinant déjà à la légende. Le charme qui opère autour de lui a subitement attiré vers ses écrits un certain nombre d’âmes d’élite en France et en Angleterre. On ne peut donc qu’applaudir à la pensée qui a porté un de nos publicistes les plus distingués, M. Laboulaye, à attacher son nom à l’introduction parmi nous de ces curieux écrits. Divers travaux[1], des études remarquables de M. Laboulaye lui-même, avaient déjà appelé en France l’attention sur le nom de Channing et inspiré aux esprits éclairés le désir de connaître de plus près l’excellent docteur dont la renommée remplit toute l’Amérique. Le volume de traduction qui vient de paraître répond à ce désir : il renferme la partie la plus excellente des œuvres de Channing, ses œuvres sociales. Au début d’une apparition religieuse vraiment propre à notre temps et qui semble assurée d’un avenir, il est bon d’étudier avec la sympathie que méritent les bonnes et belles choses, mais sans prédilection décidée, la physionomie de cet illustre réformateur, et de rechercher le rôle que ses idées peuvent être appelées à jouer parmi nous.


I.

William Ellery Channing naquit à Newport, dans l’état de Rhode-Island, le 7 avril 1780, d’une famille honnête et aisée. On ne peut dire que son éducation ait été fort distinguée, ni le milieu dans lequel il se forma très propre à développer un esprit élevé. Newport était une ville de commerce et de plaisir, et les détails mêmes dans lesquels entre naïvement son biographe pour relever la société qu’on y trouvait nous en donnent une assez pauvre idée. «De riches marchands, dit-il, des capitaines de marine retirés du service et d’autres personnes attirées par des motifs de santé y formaient une société raffinée et même dissipée. La présence des officiers anglais et français durant la guerre de l’indépendance acheva de polir les manières; il faut même ajouter que, par l’effet du libéralisme français et de la licence de discours si commune parmi les

  1. La Revue, à plusieurs reprises, avait eu l’occasion de signaler le rôle de Channing dans le mouvement intellectuel et religieux des États-Unis.