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réforme. L’Allemagne d’une part, appliquant à la théologie sa profondeur d’esprit, sa haute imagination, sa merveilleuse aptitude aux recherches de la critique, est arrivée à la fin du dernier siècle et au commencement de celui-ci à l’une des formes religieuses les plus grandes et les plus poétiques qu’il soit donné de concevoir. Ce ne fut qu’un moment; mais quel moment dans l’histoire de l’esprit humain que celui où Kant, Fichte, Herder étaient chrétiens, où Klopstock traçait l’idéal du Christ moderne, où s’élevait ce merveilleux édifice de l’exégèse biblique, chef-d’œuvre de critique pénétrante et de rationalisme élevé! Jamais sous le nom de christianisme ne tinrent tant et de si grandes choses; mais le vague et l’indétermination, condition essentielle de la poésie en religion, condamnaient cette belle apparition à ne durer qu’un jour et à ne rien asseoir pour l’avenir : le schisme des élémens divers qui s’étaient un moment conciliés dans son sein ne tarda pas à se manifester. Le sentiment religieux pur aboutit à un piétisme étroit, le rationalisme et la critique à des formules négatives et tranchantes assez analogues à celles de notre XVIIIe siècle; le catholicisme, qui veille sans cesse pour profiter de toutes les défaillances, envahit le terrain de toutes parts.

La race anglaise de son côté, en Europe et en Amérique, s’attachait à la solution du grand problème posé par la réforme et poursuivait à sa manière la formule d’un christianisme qui pût être accepté par l’esprit moderne. Elle ne porta dans cette œuvre ni la puissance de facultés intellectuelles, ni la haute poésie, ni la liberté de critique, ni la science vaste et pénétrante que l’Allemagne seule, dans les temps modernes, a su appliquer aux choses religieuses. Une grande droiture d’esprit, une admirable simplicité de cœur, un sentiment exquis de moralité, telles furent les données avec lesquelles cette sérieuse et forte race chercha le Christ. L’unitarisme, sorte de compromis assez analogue à celui que tenta au iv, siècle le diacre Arius, fut le plus haut résultat de sa théologie ; d’excellentes applications pratiques, un esprit vraiment évangélique dans le sens le plus élevé qu’on s’est habitué à donner à ce mot, compensent ce qui manque à son œuvre en poésie et en profondeur. On peut dire sans hésiter que de cette direction sont sorties les plus excellentes leçons de morale et de philosophie sociale qu’ait jusqu’ici entendues le monde. Servie par de bonnes et solides natures, étrangères d’une part aux raffinemens et aux caprices de l’artiste, de l’autre aux exigences et aux scrupules du savant, cette honnête et sage école a prouvé une fois de plus combien les dons de l’esprit sont divers, et quel abîme sépare les vues du génie de la sagesse pratique qui organise d’une manière efficace l’amélioration du genre humain.

Channing, dont le nom, bien nouveau parmi nous, groupe déjà tant