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il nous faut un fil conducteur et une méthode. D’autres y ont songé bien avant nous : M. Edward Barry, auteur d’une étude remarquable sur le cycle de Robin Hood, s’est posé une question analogue. Après avoir embrassé la théorie de M. Augustin Thierry sur Robin Hood, c’est-à-dire après en avoir fait le type des Saxons fuyant la domination normande, M. Barry distingue dans les ballades les altérations produites par le développement poétique lui-même, puis celles qui résultent de la poésie chevaleresque, de l’esprit de la renaissance et des alternatives politiques. Il n’indique pas la marche de ces altérations; il saisit souvent du même coup d’œil des ballades d’époques très différentes, et les comparant au type abstrait de Robin Hood, il en extrait ce qui lui paraît provenir d’une source étrangère. Notre but est plus déterminé que celui de M. Barry; nous voulons savoir ce que les générations successives de poètes populaires ont ajouté au personnage historique, en distinguant, s’il est possible, dans les ballades, ce qui est traditionnel et ce qui est d’invention. Il est donc nécessaire de discerner les époques et de classer les ballades par rang d’âges.

Toutefois il ne peut être question d’analyser soixante ballades, et quand nous bornerions notre étude aux principales, à celles qui ont servi de types et de modèles, les traits du personnage que nous voulons peindre seraient encore trop disséminés, et le détail étoufferait la pensée de l’ensemble. Après avoir fait l’histoire de Robin Hood, nous ne renonçons pas cependant à faire son roman, et comme ce roman change sans cesse avec les ballades, au lieu de suivre les changemens dans chaque pièce, ce qui serait infini, nous formerons des groupes divers de ces ballades selon le siècle dont elles portent la marque, et nous observerons les altérations du roman d’époque en époque. Qu’on nous accorde un peu de cette attention que nos ancêtres ne refusaient pas aux romans de Roland, d’Alexandre ou d’Amadis. Nous ne pouvons promettre de si beaux coups d’épée, ni des prouesses si merveilleuses. Robin Hood a du courage, mais il ne dédaigne pas de se servir de la ruse que l’adversité lui a rendue nécessaire, et de la finesse que la nature a mise dans son caractère. Nous ne pouvons pas surtout conter de belles histoires d’amour. Il n’y a pas de femme dans le cycle poétique du franc-archer, ou celle qu’on y a introduite n’y est entrée que par violence, quand la simplicité primitive s’était corrompue; Robin Hood n’a pas d’amour.

Ce n’est qu’un glorieux qui ne dit rien de tendre.


Mais nous espérons que la simplicité même de ce type populaire sera digne d’inspirer l’intérêt.

Le Robin Hood du XIVe siècle, le vrai, le pur Robin Hood, respire dans le Lyttle Geste et dans la ballade de Robin Hood et le Moine. C’est un brave yeoman — qu’on peut se représenter tel que Chaucer a décrit cette classe d’hommes, un de ces chasseurs tenant le milieu entre l’homme de guerre et le paysan, archers durant la guerre, braconniers durant la paix, s’attachant quelquefois à un chevalier et lui servant d’escorte. Il porte un habit et un capuchon d’un drap vert qui se fabriquait à Lincoln; à son baudrier, également vert, est suspendue une gerbe de flèches bien aiguës et garnies de