Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Edouard les réduisit; il se tourna ensuite vers les comtés du midi, fit rentrer Londres dans l’obéissance, et pacifia les comtés de l’est. Tous les seigneurs rebelles obtinrent des conditions et se rendirent. Un seul chef, parmi ceux que l’histoire a nommés, persista dans la résistance. Soit qu’il nourrît contre ses oppresseurs une haine plus vigoureuse ou plus ancienne, soit qu’il n’y eût pas de pardon à espérer pour un homme obscur et sans naissance, soit qu’il ne pût profiter d’aucune des amnisties qui furent publiées, le proscrit des forêts paraît avoir longtemps continué sa carrière de périls et d’aventures. S’il fît sa paix avec le roi, les historiens ne le disent pas; leur récit nous porterait plutôt à croire le contraire. Il demeura fidèle à sa retraite des bois, comme ses devanciers, les vieux Saxons, après la conquête. Mathieu Paris raconte que beaucoup d’entre ceux-ci, sous Guillaume le Bâtard, se réfugièrent dans les bois avec leurs familles, et qu’ils se condamnèrent à vivre dans la solitude pour échapper à l’esclavage. Ces mêmes forêts du Yorkshire avaient servi de séjour à un Saxon nommé Sweyn, chef d’une bande nombreuse[1]. Jamais cette manière de protester contre la tyrannie n’était tombée en désuétude; l’histoire de l’Angleterre, dans ces siècles reculés, en offre des traces bien fréquentes. Ce proscrit fut donc l’héritier des Saxons rebelles; il représenta l’esprit de liberté de l’ancienne race conquise et opprimée. Il serait injuste de le regarder simplement comme un brigand : il fut un homme hors la loi, outlaw. Ses griefs étaient peut-être moins clairs et sa cause moins juste que celle de ses premiers devanciers. Nous voyons en lui la décadence de cette race de proscrits : cette opposition armée contre la loi, l’outlawry, a visiblement dégénéré, elle se trouve sur les confins de la guerre de partisans et de la bande de voleurs, les successeurs de celui-ci ne seront bientôt plus que des braconniers; mais enfin il combat encore pour quelque droit méconnu : il y a quelques nobles souvenirs attachés à ce nom, et il est cité parmi ceux qui ont soutenu les libertés anglaises à leur naissance. Ce proscrit s’appelle Robin Hood; le voilà tel que nous avons pu le décrire d’après l’histoire. Nous allons voir ce qu’en a fait la poésie.


II.

Ces révoltes des barons contre les princes inspiraient les poètes du temps. Les chansons étaient une manière d’agir sur les esprits; c’était une arme nouvelle apportée dans le combat. Parmi les personnages célébrés dans ces chants populaires, un seul survécut à son siècle et fut chanté par les générations successives : ce fut Robin Hood. Durant trois ou quatre cents ans, la poésie n’a pas cessé d’en entretenir le peuple anglais.

On devine aisément qu’un héros qui sert si longtemps de texte à des ménestrels doit être devenu à la fin presque méconnaissable. Chaque siècle a un peu changé son costume et laissé sur lui son empreinte. Au milieu de tous ces chants, souvent médiocres ou mauvais, quelquefois excellens, provenant de tous les dialectes du royaume et de toutes les époques de l’histoire,

  1. Histoire de la Conquête d’AngleterreV par M. Aug. Thierry, livre V.