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d’Euler, qui, comme on sait, perdit un œil dans ses veilles obstinées sur la théorie de notre satellite, les marines de France, d’Angleterre et plus récemment des États-Unis ont pu se guider dans les voyages maritimes les plus hasardeux, et obtenir des cartes exactes du monde entier. Ces cartes forment maintenant une des richesses de l’humanité tout entière, et les récens travaux des Américains, sous la direction de M. Bache, l’arrière-petit-fils de Franklin, ajoutent de jour en jour, sur une immense échelle, à ces trésors de science pratique. C’est une chose curieuse que pendant longtemps on ait mieux connu la distance de la lune à la terre que celle de Paris à Constantinople. Louis XIV se plaignait que les astronomes de l’Académie des sciences, en rectifiant et resserrant la côte de Gascogne d’après les observations astronomiques, l’avaient privé d’une partie de son royaume. À cette époque, et même beaucoup plus tard, la latitude du détroit de Gibraltar était en erreur de plusieurs degrés ; on peut juger d’après cela de l’état où en était l’hydrographie du reste du monde.

Depuis 1815, les travaux de l’amiral Smyth pour la Méditerranée, combinés avec ceux de nos hydrographes, ont rectifié des centaines d’erreurs et marqué une ère nouvelle honorable à notre siècle. Nous n’avons pas même indiqué tout ce que la publication récente qui nous occupe renferme de questions importantes. L’étendue des divers bassins maritimes y est donnée avec soin. Chose remarquable, la Sicile y est reconnue un peu plus petite que la Sardaigne. La Corse ne vient qu’au sixième rang après la Sardaigne, la Sicile, la Crète, Chypre et l’Eubée. Il eût été curieux de donner l’étendue superficielle des contrées européennes, asiatiques et africaines qui versent leurs eaux dans la Méditerranée par les fleuves qui s’y déchargent depuis l’Espagne et le Maroc jusqu’à l’extrémité des Palus-Méotides. C’est là, pour ainsi dire, le bassin continental de cette mer dont Napoléon voulait faire le lac français, et que les Romains appelaient notre mer, mare nostrum. Elle sera bien mieux un jour la mer des peuples civilisés, quand, sous l’influence de l’ascendant moral et des lois de la France et de l’Angleterre, la Grèce, l’Asie-Mineure, la Syrie, l’Égypte, la Mauritanie et les provinces limitrophes de la Mer-Noire auront vu renaître les immenses populations qu’elles peuvent encore nourrir comme autrefois, et que les guerres entre nations seront prévenues par le développement des droits et des relations internationales, comme le sont les rixes sanglantes entre les hommes privés dans toute cité bien policée. En dépit de l’état actuel des choses, et, nous osons le dire, par cela même, ce temps n’est pas éloigné.


Babinet, de l’Institut.